mardi 27 décembre 2011

Et décider quoi faire du temps qui nous est imparti

Ou la déclinaison d'une jolie boucle en vélo...



Hier soir, vers 1h du matin, je discutais assez sereinement avec la chanson silencieuse. Je n'avais pas réussi à écrire un seul mot lorsque tout le monde était allé se coucher ; la chanson avait certainement trop à dire...

Je l'écoutais. Et j'allumai peut-être la vingtième ou la vingt-deuxième cigarette de la journée. D'un coup, née d'une soudaine petite révolte, nous nous sommes entendus avec la chanson. Elle m'a dit : 

- Qu'est ce que tu fous, putain ? Qu'est-ce que tu fous ? J'ai laissé passer quelques secondes avant de lui répondre en silence : 

- Je partage ton avis. Qu'est-ce qui m'oblige à être aussi con ?"

Alors on a passé un deal. Ma chanson sait très bien que je suis un fumeur invétéré ; le temps des fumées évaporantes et acides n'a pas encore mordu les poussières d'anges. Être moins con, ça peut être, pour débuter, s'affranchir de quelques unes de ces maîtresses là.

Après une nuit moyenne, je me suis levé vers 10h. J'ai commencé par être un peu de mauvaise humeur, comme bien souvent. Ensuite, pour m'accorder au temps qui s'annonçait splendide, j'ai rejoins les deux garçons dans le bain ; on n'avait pas beaucoup de place mais la bonne humeur compensait largement. Puis j'ai pris mon café, deux brioches, comme d'hab. Et là, je n'ai pas fumé. Cette putain de première clope, je l'ai renvoyée à un peu plus tard. 45 minutes exactement ; pas si mal en somme.

On a tous en tête des citations qui nous ont marqué, et qui nous marquent encore. L'important, dans ce genre de gymnastique, c'est avant tout que ça sonne, style (revoyez la scène) : 

- I'll be back !

Parfois, c'est le symbole qui compte, et toute la résonance que peut prendre en vous une simple phrase prononcée par un bel acteur hollywoodien, ou pas, s'il ne ressemble à rien. Je prends deux exemples : 

- Il y a une grande différence entre connaître le chemin et emprunter le chemin (Morpheus s'adressant à Neo dans le premier Matrix). Et, à quelques mots près :

- Savoir qu'on va mourir et décider alors quoi faire du temps qui nous est imparti. Tiré du premier ou deuxième volet du Seigneur des Anneaux.

Les belles phrases ne choisissent pas forcement leur film, mais le libre arbitre existe, alors autant choisir les phrases qui nous vont bien. Ces deux là me parlent. Elles me disent par exemple que la position exacte que l'on tient dans sa propre vie n'est que la très complexe somme de tous les choix qu'on a faits. Et de tous ceux qu'on n'a pas faits, évidemment.

J'ai décidé de me tester un peu aujourd'hui. L'été est déjà loin, les sessions de surf s'éloignent dangereusement, bien qu'on ait quand même réussi à surfer deux ou trois fois en novembre. Une fois à Sète, comme une bonne surprise, une fois à Soulac-sur-Mer, bien sûr ; les escapades médocaines sont fondamentales, alors on ne les sous-estime jamais.

Depuis, si j'étends la douce Méditerranée bercer les nuits de mon récent exil professionnel, ne demeurent plus que les cigarettes et les coups à boire, qu'on enchaîne et qu'on enchaîne, et puis viennent les fêtes, les bons repas, la grève du corps en mouvance, les premières graisses hivernales. J'ai regonflé les pneus du vélo qui s'empoussiérait dans le garage, tandis que la chanson m'accompagnait encore, un rire doux et une image volée au fond du ventre, là où demeure le fragment incompressible.

J'ai pris la route, et juste à ce moment là, j'ai allumé une cigarette. J'ai tiré une latte, comme un acrobate qui ne connaît pas les bons tours,  puis je me suis arrêté quelques secondes plus tard sur le rebord de cette même route. J'ai écrasé la cigarette à peine consumée sur le cadran du vélo, tandis que la chanson acquiesçait de son petit rire moqueur. J'ai parcouru quelques centaines de mètres jusqu'à m'arrêter une nouvelle fois sur le côté. J'avais pris l'appareil photo que mon frère m'a vendu il y a de cela quelques semaines, matérialisant ainsi une certaine idée des bonnes survenances : à n'en pas douter,  je trouverai bien quelque chose de beau à shooter ! Le panoramique plongeant sur les vallons du Gers qui s'offrait à mes yeux ne me mentait pas. J'ai sorti l'appareil, les piles sont tombées au sol et j'ai très exactement restitué l'endroit où gisait la carte mémoire de l'appareil. A la maison, près du Mac, là où je l'avais laissée une heure plus tôt....

J'ai renoncé à ce suspens du beau sans trop m'en vouloir, puisque de toute façon, me suis-je dit, c'est mon frère le pro de la photo ! J'ai repris la bécane et j'ai enfin lancé ma course, laissant la chanson un peu en arrière de moi. La lumière du jour devait savoir qu'il était temps. Elle se concentrait déjà, elle m'indiquait la marche à suivre. J'ai roulé, j'ai laissé les plus belles maisons de Pujaudran s'évanouir derrière les premiers lacets, et j'ai pris la route descendant vers la foret de Bouconne, que j'ai traversée par celle menant à Léguevin sans grand mal. Les cuisses chauffaient, le rythme se mettait en place et je m'accordai doucement aux images envoyées par ce monde brut, humanisé, inaccessible. Le soleil déjà se cachait derrière la cime des plus grands arbres et la ligne droite d'asphalte était tout au devant de moi, une promesse devant encore se révéler.

C'est à ce moment là que j'ai repensé à cette phrase : Et décider alors quoi faire du temps qui nous est imparti." J'ai pris des images simples et ce que j'avais sous la main pour en extraire un sens, le sens du jour. Il y avait derrière moi ce passé, constituant chacun de mes pas, le parcours, les méandres, les pertes incalculables et les retrouvailles avec le ciel. Sa vérité réside en son langage et ce langage là, tu ne le laisses jamais au bord de la route. J'ai beau accélérer, foutre le braquet le plus costaux, me faire bruler les atomes les plus profondément enfouis, je ne me départis pas de Lui. Il est ce que je suis.

J'ai atteint Léguevin, il me restait le plus dur. La remontée vers Pujaudran. Des faux-plats de bonne facture, des pentes douces puis plus sûrement, le bouquet final, la pente menant au village lui-même, plus ardue. Le meilleur pour la fin, comme j'ai toujours aimé. Je n'ai pas posé le pied au sol jusqu'à chez moi. J'ai minimisé ma peine en soufflant doucement, comme le font les êtres heureux en se frôlant la main au soir couchant. Le ciel brûlait derrière la deuxième colline du village et les nombreux avions qui passaient au dessus zébraient la lumière d'un orange feu plus saillant, plus déterminé, plus humain que le reste du tableau. Cela lui donnait plus de force encore, une autre vérité, parce qu'un ciel sans homme, au final, ça doit être un peu chiant.

A la question : Quoi faire du temps qui m'est imparti ?... Je n'ai pas voulu répondre. J'ai préféré me poser une ou deux autres questions. Qu'est-ce qui te définit le plus sûrement, ce qui tu as fait jusqu'à ce jour, ou ce que tu n'as pas encore accompli ? Est-ce que tu ignores seulement que tu sais déjà au fond de toi que tu as déjà écrit la suite ? Est-ce que cela fait de toi un homme bon, un homme juste, ou celui qui hésite à se reconnaître tel qu'il est vraiment ?

Je suis rentré, la nuit tombait tout juste. Je transpirai. J'avais mal au dos et quand je suis descendu du vélo, je ne tenais quasiment plus debout. Je me suis étiré aussi bien que possible et j'ai bu un peu d'eau. La famille n'était pas encore rentrée. J'ai allumé la télé et puis j'ai éteint la télé. Je me suis douché. J'ai mis un disque de Léonard Cohen, acheté la veille à Toulouse, depuis le temps que je savais que je devais acheter du Léonard Cohen et je me suis posé devant l'écran de l'ordinateur, comme s'il fallait répondre à l'urgence de vivre par quelque chose de tangible.

Les mots sont là, il est 20h30. Je bois du vin et je vais aller fumer une clope, tandis que Angus Stone envoie ses "you are the only one" qui perforent et qui perforent, la probante et viscérale matière de mon être, la chanson silencieuse, et toutes celles qui font un peu plus de bruit.

vendredi 23 décembre 2011

Le mystère du vent, du dit…


                                                                                                                      (vend’edi)

La rage, le poème, la fratrie...
Ce sont les organes vitaux, la trilogie

Hygiène asservie d’un esprit configuré
Outils d’apathie, alignés, bien rangés,
L’éparpillement acide
D’un réservoir qui se vide…

Face à la rivière séchée,
D’un lendemain unanime et usé 
Humaniste dans un parterre de fleurs,
Immobile Aérolithe, sa foi, sa demeure

Le rebord du Monde, où je t’ai croisée
Est la chute survenant, l’étreinte aspirée

Avant de vivre la Foi incontestable
Létale rupture, abreuve l’animal…

L’acier dans les veines, fleuve d’un sang irascible
Surclasse la haine, le tempo et la bible


Lumière,

Avant de mourir
(Comme une étoile)
Parcourir le ciel, devenir

Lune, air

lundi 19 décembre 2011

Ce que je vois…



Ce que je vois est ce que nous recherchons tous.

Ce que je vois dans ses traits est ce que tu devineras dans les traits d’un autre visage.

Ce que je vois résume la vie ; c’est l’amour qu’on lui porte, la fécondité qu’elle recèle, les coups durs qu’elle assène, les vibrations qui résonnent, les illusions qui s’envolent, les désillusions qui dessèchent, le progrès contre l’enfer, les vocations à réussir ce qu’on imagine, la légèreté générique, les mots à ne plus savoir qu’en faire, les courageux moments et les tournants qui se décident quand ils le veulent.

Ce que je vois est l’espoir égoïste d’une simple et impossible réalisation  humaine.

Ce que je vois ne s’arrêtera jamais et ne pourra guère mourir. On pourrait l’assassiner demain qu’il renaîtrait aussitôt.

Ce que je vois est entier, antique et partout.

Ce que je vois demeure invisible la plupart du temps mais ne cesse de vivre en chacun d’entre nous.

Ce que je vois biaise la vérité que l’on recherche depuis toujours et pourtant l’englobe entièrement.

Ce que je vois est une part sacrée, un graal ; si proche et à jamais inaccessible.

Ce que je vois est un être différent de moi ; impossible pour lui de ressentir ce que je ressens, impossible pour moi de comprendre ce qu’il sait.

Ce que je vois est un lien puissant et fragile, la marche qui attendra d’être gravie.

Ce que je vois est immatériel et insoumis, mystérieux comme les légendes et affamé comme les loups.

Ce que je vois nourrit, assoiffe, exalte, transcende et fait mal à tuer.

Ce que je vois n’est qu’à moi et ne m’appartiendra jamais.

Ce que je vois, je le vivrai immensément, avec la foi d’un gueux et le couteau sous la gorge.


Tu es ce que je vois.

jeudi 8 décembre 2011

Armurerie


De la rancœur

Des visions sulfureuses

De l’impudique vanité

De la mauvaise pitié

Des pléthores de souhaits ravalés comme autant de sucettes sales

De la jeunesse évanouie aux sons de cloches intemporelles : je suis vivant !

Des pardons manqués

De la peine et du chagrin, des caresses volées et floues, des élans transfigurés au-delà de la mémoire

Des étagères de pacotilles, pour des causes indigestes

Des vautours dans la tête noire, comme autant d’alliés détestables

Des encore, pour toujours et à jamais, d’une sincérité dissoute

De la compromission sans autre adjectif

Des sacs de larmes enfin séchées

Ont fait de moi un guerrier, un poète, un imbécile, un exalté.


Je suis armé.

mardi 6 décembre 2011

Soliman



Lumière de lune tranquillement installée là
Dans le ciel de Maghreb
Je n’ai pas oublié les aquarelles de l’enfant

Allongé vibrant de la douce angoisse du tigre
Apaisé dans la fibre mineure
Les sourdes trompettes résonnent encore…

Musique dessinée aux alentours d’odeurs jasmines
Exilée en un point du cœur
L’épopée d’un songe s’enivre d’une sirène

Sage entreprise de la demeure mystère
Doit assouvir la course, repeupler ses déserts…

Les mines patibulaires se dissolvent d’être un homme véritable
En se mêlant aux sons de l’équitable louange

Ô lumière de lune et toi ici mon cœur
S’apaisant de vous,
Douces compagnes de Soliman…

vendredi 2 décembre 2011

Amaryllis


Tu te lèves un matin. Il est encore assez tôt. L’air est frais et prodigieux. Tu as cours aujourd'hui, alors il faut s’habiller. Comme tu dors en caleçon, tu n’as plus qu’à te glisser dans ton short, ton short fétiche, qui te va un peu trop grand. Pour l’instant ne vit aucune urgence. Tu restes torse-nu. Tu as le choix, parce que tu n’as pas froid. La fraîcheur du matin d’ici n’est qu'une caresse. Ça fait partie d’un tout. Et puis tu te sens plus vrai comme ça, car rien ne vient masquer la teinte naturellement bronzée de ta peau.

Tu ouvres les rideaux. Eux, à l’inverse, sont pleins de couleurs, enjoués de motifs ronds et doux, bleus pâle, rouges, jaunes paille. Ils ne sont plus tout à fait à ton goût, mais ces rideaux sont comme ils doivent être : ceux que ta mère a posés pour toi, pour ta chambre, et que tu avais vaguement choisis avec elle il y a des années de cela.

Ce que tu vois est une offrande sincère et coutumière, toujours magique, alors que le tableau demeure le même depuis plus de quatre ans que tu vis dans cette maison. La lumière du jour est vivace, contrastée ; elle anoblit les matières, les odeurs marines et sucrées, la vision. Et le rêve imaginé par toi, en laissant ton âme d’adolescent voguer, n’a plus qu’à donner libre cours à son avidité, jamais rassasiée, si bien inspirée de ne jamais l’être.

Ta chambre est au premier étage. Elle domine le Monde. Par delà le toit de la terrasse, tu plonges ton regard dans le jardin, qu’ont fait pousser ton père et la nature folle surtout. L’harmonie domine dans ces verts, si nombreux que leurs noms te demeurent inconnus pour la plupart, toi qui sais les aimer et leur être fidèle comme cela, au réveil, à chaque fois neufs et décidément immaculés.

Au-delà de cette première arène, où tant de pièces se sont déjà jouées puis enfuies, tu emmènes ton regard un peu plus loin, par-dessus l’infranchissable clôture verte, et tu le poses sur l’Avenue Félix Eboué. Tu sais que sur ta gauche, ça file vers le quartier indien si tu suis gentiment le littoral et vers la poste, le quartier Europe, le collège et le lycée, si tu lui es infidèle. A ta droite, l’avenue s’allonge plus sûrement. Là s’étale la magie de la Cocoteraie, vaste contrée de jeux, d’océan, de pistes cyclables et de sable, et puis enfin, là où demeure un bijou de rampe de skate, que la mairie aura finalement consentie à construire pour tes amis et pour toi, les irréductibles qui volaient des sacs de ciment sur les chantiers la nuit afin que la première esquisse du projet puisse voir le jour.

Tu n’oublies pas non plus l’Albia, qui se situe de l’autre côté de l’avenue, côté centre ville, l’Albia et ses pelouses, soit trop longues, soit desséchées, là où parfois tu jouais au football avec tes copains et les petits Saramaccas, toujours pieds nus, souvent agiles avec le ballon.

Enfin, si tu allais jusqu’au bout de cette route, tu trouverais l’avenue des Roches, la plus belle de toutes, sans équivalence, et tu prendrais alors sa douce montée sous la chaleur naissante, comme depuis toujours et inlassablement, qui te conduirait vers une plage qui porte le même nom qu’elle, et où réside et se consume un pan entier de ta vie d’outre-mer, telle que tu l’as vécue avec les tiens, telle qu’elle s’est déjà dissipée, fugace éternité, disparue de n’avoir été que trop belle.  

Cet air là pour le vivre, il faut le respirer chaque matin. Alors tu l’aimes ta maigre bande d’asphalte. Chemin de rêve, ton Avenue Félix Eboué, qu’une fois l’an ces beaux légionnaires piétinent et piétinent encore, en cadence, nous la jouant Cameron !

Juste en face de toi, après le bitume, c’est donc un autre monde. Les vaches et les bœufs aux énormes couilles, qui encaissent tes plombs de 4.5mm comme autant de piqures de moustiques, les terrains de foot en latérite, royaume des brésiliens chaque fin d’après-midi la semaine et à longueur de week-end tous les week-ends. Après eux, se dessinent les esquisses d’une plage à demi-noyée encore par les palétuviers en train de mourir, lent processus d’un cycle naturel qui s’étend sur plus de deux décennies. La petite plage est ainsi encore absorbée par la vase collante qui, bientôt, sûrement, disparaitra. En attendant, les morceaux de troncs sont charriés par les vagues et l’eau, franchement marron quand l’océan s’agite, approximativement translucide à l’étale, n’est pas tout à fait verte en été, quand les coefficients sont très faibles et la houle, si lointaine.

Le lieu sacré se situe un peu plus sur ta gauche, quand tu regardes l’océan. Tu ne le distingues pas complètement mais tu sais sa présence. Ce lieu, c’est ton spot. Il est presque en face de chez toi. Et il est tout aussi précieux qu’imparfait. Là, les vagues naissent et meurent presque aussi vite que ton souffle exalté, lorsque l’onde vient à te recouvrir et te purifier, toute de couleur marron qu’elle est.  Tu sais quelle est ta chance. Tu sais parfaitement que le bonheur de surfer ces déferlantes un peu faiblardes tend à faire vivre la fragile connivence qui existe entre ce qui est là depuis toujours, et toi, l’éphémère.

Le tour d’horizon n’a pas duré une minute. Tu as pu constater que tout, absolument, était en place. Toi, cœur vibrant et abreuvé, installé en ce sein, tu n’as plus qu’à poursuivre.

Bien sûr, tu restes pieds nus. Tu adores sentir le contact du monde directement dans la voute plantaire. Tu ouvres maintenant cette porte qui fait toujours la maline, en ne grinçant plus qu’il ne faudrait, puisque ton frère, dans la chambre d’à côté, ne s’est pas encore levé. Mais si tôt la porte ouverte et son grincement derrière toi, tu réapprends vite l’essentiel. Dans cette maison, à cette heure-ci, ce bruit ne gène plus que toi, et peut être la musique naturelle, ce silence empli des mille bruits environnant. Tu jettes un œil et la chambre est effectivement vide. Il te reste les images et les souvenirs pour combler ce qui ne peut l’être, ce vide et ceux d’après, les deux dernières chambres de l’étage, celles situées près de l’escalier, et que tes sœurs ont également quittées. Tu ne traînes pas trop à l’étage.

Tu descends les escaliers sans te presser, sans vraiment faire attention aux petits bruits tranquilles que font tes pas. Tu es encore imprégné de la nuit paisible que tu viens de passer mais aussi de cette nonchalance, tendancieusement acquise au fil des ans, et dont pour rien au monde tu ne voudrais te départir. Et il ne s’agit pas de la chronique d’un monde édulcoré, mais du sang qui coule aujourd’hui dans tes veines.

Tu passes devant la grande table du salon et tu devines qu’elle se sent délaissée. Elle n’accueille plus ces fameux repas où le père tenait la présidence et la maman, le gouvernail. Elle n’entend plus les parfois fameuses remarques péremptoires « Ta purée est trop salée… Ma chérie », et ce possessif qui tentait sincèrement mais trop tard d’adoucir la sentence.

Arrivé à la cuisine, tu te prépares ton petit déjeuner : du lait froid, trop d’ovomaltine, encore plus de sucre en poudre, tout ça allègrement versé sur une grande quantité de Corn Flakes. Tu as eu le temps de chaleureusement saluer le vieux Boule, le robuste chien des grands froids que le climat local, chaud et dense, surtout très humide, aura finalement rabougri bien plus vite que prévu. Tu as également eu droit au joli concert que donnent les deux chattes larmoyantes, en attente furieuse de la très sainte pâtée.  Toutes deux font naître le bruit le plus fortement détonnant au sein de ta sereine matinale, surtout Nana, vaste siamoise dont le ventre est devenu trois fois plus gros qu’elle, et dont le seul miaulement part si loin dans les aigus qu’il sait parfaitement te faire assimiler la première urgence de la journée : qu’elles soient nourries et que ce bruit cesse ! Tu ne leur en veux pas plus que cela d’ailleurs, le temps de les servir.

De ton côté, une fois ta gouteuse mixture préparée, tu aimes bien manger debout, bol dans une main, cuillère dans l’autre, en te baladant tranquillement sur la terrasse et dans le jardin. Alors, puisqu’il faut franchir la porte de la cuisine pour accéder à ce petit paradis, te voilà bien obligé de prendre les clés de cette fichue grille, dégât réactionnaire de ton papa, qui l’avait faite posée, comme sur toutes les portes et fenêtres de la maison, immédiatement après l’agression qu’avait subie ta maman dans cette même cuisine, victime d’un clandestin présumé, affamé, désœuvré ou en manque, qui avait fuit le Surinam voisin en pleine guerre civile, vague de misère et de violence qui déjà déferlait sur nous, les kourouciens, et qui, sans que nous ne l’admettions encore, précipitait l’âge d’or de notre cité vers son terme.

Quand bien-même, tu adores encore cet endroit. C’est ici le royaume des hibiscus et de plantes luxuriantes, de fougères géantes, de citronniers et de jasmins à l’odeur si fine, qu’il semblerait que ces fleurs soient déterminées à nous enseigner la beauté. Parmi ces reines, trône un roi magnifique, palmier évanescent sans doute immortel, sur le parterre d’un gazon impeccablement entretenu, fruit du labeur quasi quotidien de ton père, qui travaille donc encore après le vrai travail. 

- Ha, ça me fait du bien mon fils, ça me vide la tête, te répond-il quand tu lui demandes pourquoi il ne se repose pas. 

Mais tout ça, ces histoires d’hommes, c’est beaucoup plus tard qu’on les comprend. Maintenant, tu n’as qu’à laisser tes yeux être le guide. La terrasse, protégée des averses foudroyantes et du soleil cuisant, est l’antre de mille orchidées, la grande passion de ce papa à la main verte. Il s’en va seul les débusquer en savane ou en Amazone, comme un gentil aventurier, et en cela sans doute vit la plus intouchable part de son être, la part de l’artiste, ce violoncelliste né qui ne devint qu’un grand médecin biologiste.

Tu ne connais pas le nom donné à toutes ces belles, qu’il a soigneusement disposées ou suspendues pour que chacune soit mise en valeur, sous condition de leur rendre visite. Toi, tu le fais presque tous les jours, alors tu sais presque par cœur leur emplacement à toutes. Tu découvres ainsi celles qui ont fleuri depuis votre dernière rencontre ; les plus fréquentes sont des étoiles jaunes tachetées de pourpre, avec lesquelles il faut intimement flirter pour en percevoir la senteur de miel sauvage. Les plus belles et les plus rares, on les oublie, parce qu’on ne les a vues qu’une fois ou deux seulement.  Elles sont aussi devenues une part de toi, discret voyage fait de formes, de surprise, de couleurs, et qui te lie en silence et plus sûrement que bien des mots, au seul de ta famille qui soit demeuré dans ce pays avec toi. 

Tu as cours dans un quart d’heure. Tu as encore du temps devant toi. Tu finis ton petit déjeuner et, en revenant sur tes pas, tu poses le bol dans l’évier de la cuisine. Tu remontes à l’étage mettre tes baskets et enfiler un des tes nombreux tee-shirt à l’effigie d’une marque de skate, un Vision Street Wear ou mieux encore, un Santa-Cruz, vers lequel va depuis toujours ta préférence. Tu quittes ta chambre et tu empreintes une dernière fois le couloir de l’étage. Tu es dans un bon jour, alors tu prends le temps d’un petit détour à la salle de bain, où tu t’efforces en vingt-cinq secondes de te brosser les dents.

L’air s’est déjà perceptiblement réchauffé. Tu es redescendu, cette fois-ci de manière un peu plus vive et enjouée que la première fois. Tu as des impératifs mais il te reste bien quelques minutes. De toute la collection d’orchidées, tu n’as vue que celles se trouvant à proximité de l’entrée, au devant de la maison, puis sous le garage couvert qui fait face aux autres maisons du quartier. Tu sais très bien que le plus beau de la collection se situe de l’autre côté de la terrasse, tout au fond, juste au niveau de ta chambre. Là, ton père a fait monter un pan de mur entier en lattes de bois, d’une essence locale parmi les plus nobles et dont une fois encore, tu ne parviens pas à te souvenir le nom. Sur ce très beau support, il a suspendu et disposé, avec soin et ingéniosité, les plus beaux spécimens des plus belles espèces. C’est presque magique à voir, quand plusieurs d’entre elles fleurissent de concert, dans un accord tacite, sans doute pas uniquement conclu pour ravir les yeux de l’homme et ceux de l’enfant.

Tu te diriges encore assez tranquillement vers elles. Ton être sait que tu vas obligatoirement passer devant ton vélo, vielle relique bleue toute rouillée, élevée par toi au rang du très rare allié éternel, mais que tu poses négligemment chaque soir contre le mur, juste après l’angle du garage, là où l’on ne peut guère l’apercevoir depuis la rue. Bien que ton père te l’ait souvent répété, tu as presque chaque fois la flemme d’aller chercher la clé du cagibi dans la maison, pour revenir l’y enfermer ensuite. Alors quand tu rentres le soir, après les cours, le skate, la plage ou le centre ville, tu l’abandonnes sur ce mur pour qu’il y dorme, protégé des eaux de pluies par le toit seulement, ce qui bien sûr ne l’empêche pas de se détériorer lentement au fil des saisons, celles-ci berceaux inlassables d’une immuable et corrosive humidité.

Il ne te faut qu’un instant pour te rendre compte que ton vélo n’est plus là. Les orchidées, tu les oublies aussitôt. La seule chose qui compte pour toi, à cette seconde, c’est que ton vélo n’est plus là. Ta vieille bécane cabossée, sans frein et sans garde-boue, dont la roue arrière est totalement voilée et qui te permet d’ordinaire de rejoindre le lycée en trois ou quatre minutes, a disparu. Ton légendaire vélo. Volé et envolé ! Ça te fait immédiatement mal au ventre : c’est une part de toi qu’on t’arrache, un illustre emblème qu’on déchire, ton principal moyen de locomotion qui disparaît. Les trois minutes qui te séparaient de ton lycée vont en devenir dix. Au minimum. Si tu coures efficacement et que tu ne crains pas la suée qui sans faute accompagnera ton inutile effort. Dépité, tu maudis le voleur et tu l’insultes, d’abord en créole « patat mama ! », puis plus vulgairement ensuite.

Tu es doublement touché, car au-delà du préjudice qu’on t’inflige, tu détestes être en retard. Etre en retard, cela signifie se faire remarquer. Et les grands timides n’aiment pas se faire remarquer, même lorsqu’ils parviennent à donner le change la majeure partie du temps, en se faisant passer pour des trublions. Ce n’est pas ton sens de la bienséance qui va être mis à mal, mais ton intimité, ce qui te constitue et fait de toi un être si peu sûr de lui, alors que tu sais pourtant déjà si bien manier la réplique : ils n’auront pas le dernier mot !  Devant ton prof et tous les autres, tu trouveras les termes qu’il faut, à n’en pas douter, même haletant, même trempé, tu sauras t’en sortir en les faisant rire, ce qui couvrira bien assez le bruit de ton vacillement interne, mais pour eux seulement.

Tu restes planté là quelques secondes. Tu tentes également de rire de cette tragédie douce-amère.  Mais tu n’y parviens pas. Durant l’instant d’après, tu fixes un point vague au fond du jardin, comme si tu attendais que quelqu’un ne vienne et ne pose gentiment la main sur ton épaule, pour te dire ensuite : 

- Viens, ce n’est pas grave, je t’emmène… Mais le jardin, les orchidées et les plantes n’ont pas de mots pour ce qu’il t’arrive.

Tu te précipites. Tu vas chercher ton sac, il était prêt. Mais tu ne trouves pas les clés de la maison. La tendre panique t’empêche de voir du premier coup d’œil qu’elles sont exactement là où tu les as laissées, sur la porte. Tu les cherches un peu partout, perdant un temps précieux, jusqu’à ce qu’un sursaut de lucidité ne te permette de résoudre ce mystère de polichinelle. Tu fermes donc la porte et puis la grille ensuite. Cette seconde entrave,  que tu hais, que tu hais d’autant plus qu’il semblerait soudain qu’elle ait raison d’être là, unanimement, dans ce village où autrefois rien ou presque n’était jamais fermé à clef et où être libre, ça voulait dire attraper une goyave mûre dans l’arbre du voisin sans risquer les hurlements de son chien de garde, construire avec tes potes une cabane sur la plage, s’y saouler et y dormir, sans jamais risquer de se réveiller le couteau sous la gorge. Forfaits anodins, ou un peu plus inavouables, une terre de jeux sans limites, que l’on cadenassait peu à peu.

Tu es en rage, ta magnifique rage de gosse qui enlace le vol de la bicyclette tordue aussi étroitement que la perte d’un repère, et aussi sûrement que ce méfait accélère légèrement la chute.  L’état d’apesanteur, qui a pris fin.

Tu te mets à courir, avec une boule qui te prend exagérément le ventre. Tu t’en rends compte assez vite et tu ralentis, porté soudain par une alarme qui ne sonne plus aussi fort, tandis que défilent sur les côtés les maisons d’Amaryllis et les bougainvilliers complices, et que quelque part un peu plus loin, dans une classe de seconde, un professeur qui vient d’appeler ton nom n’obtient en guise de réponse que quelques douteux ricanements juvéniles, qui ne pourront troubler que partiellement le doux écho de ton souffle, déjà noyé par la lourdeur pure et astreignante de l’air équatorial.

lundi 19 septembre 2011

Sans ne trop laisser paraître


« Il n’y aura pas de victoire ce soir, ni de capitulation ! »

L’homme avait le visage blême et buriné, le nez aquilin sale bizarrement cassé en son exact centre, et sa bouche, dont la lèvre supérieure était bien plus étirée que l’inférieure, lui conférait un vague air de bouffonnerie, dont il savait ne jamais pouvoir se défaire complètement, même en des circonstances aussi désespérées que celle du jour, jour d’une parfaite impasse, où il n’y aurait sans doute rien d’autre à faire que mourir.

Les survivants, une maigre troupe abasourdie, plongée dans un inexorable silence, le regardaient distraitement, leurs mines patibulaires et résignées, de postures finalement adéquates. De la section initiale, composée à son origine de garçons au tempérament irréprochablement guerrier, à la réputation solide de combattants hors pairs, ne demeurait plus qu’une poignée d’hommes décontenancés et entièrement désabusés, soumis au poids d’une déroute collective totale. L’unique officier encore en vie s’apprêtait à reprendre la parole. Personne n’enviait sa place. Celui-ci pensait : « C’est à l’école militaire qu’on nous apprend à croire qu’il peut être glorieux de mourir en livrant bataille, au service de son pays, d’une patrie qui accepte si savamment le sacrifice de tout un tas de gens. Depuis un banc, face à l’instructeur et son tableau, ou devant l’oratoire, avec un beau micro et les honneurs de plusieurs drapeaux flottant au vent, il est aisé de penser cela. Mais ici ? Ici perdus au milieu de nul part, sans qu’il n’y ait plus personne pour assister au spectacle, sans les clameurs et le doux réconfort de visages emplis de reconnaissance et de compassion, ici alors, quelle gloire récolterons-nous ? Où seront inscrits nos noms si ce n’est dans la pierre d’un impossible oubli ? Qui rendra compte, au bout du compte, de ces si longs mois  de campagnes, de ces si nombreuses batailles victorieuses aujourd’hui devenues vaines, puisque nous n’y survivrons manifestement pas ? Avoir peur ne sert plus à rien et l’espoir ne nous est d’aucun secours. Ils savent comme moi ce qui les attend et il n’en demeure plus même un seul pour broncher. Nous avons choisi nos vies, pas cette vulgaire mort à venir... »

Cependant, lorsqu’il s’adressa aux soldats, d’une voix aussi courageusement convaincue que possible, insuffisamment toutefois pour qu’aucun d’eux ne soit dupe, il déclama : « Nous ne mourons pas en vain aujourd’hui ! Aujourd’hui a été décidé et fait partie d’un tout. Nous ne sommes pas là par hasard. Nous avons œuvré pour une cause et nous avons bien œuvré ! Nous avons donné le meilleur de nous-mêmes, croyez-moi sur parole ! On s’en souviendra ! On se souviendra de nous en des termes élogieux qui sauront dire la vérité de notre force, de notre courage, de notre fureur au combat, de notre talent aux terribles jeux du massacre… » Il marqua une pause et finit par ajouter, presque malgré lui : « On se souviendra aussi de notre invincibilité... »

Après avoir lâché cela, il dû reprendre son souffle, à l’intérieur de lui, afin d’être capable de poursuivre : « Vous êtes ce qu’il y a de mieux dans cette armée, sachez-le. Pensez fort à tout ça à l’heure du dernier assaut et rappelez-vous que vos familles, vos épouses et vos mères connaissent de nous tout ce qui est bon et valable. Et c’est ça qui demeurera, c’est bien de cela dont elles se rappelleront. Vous continuerez d’exister en elles, fièrement, chaudement, et leur mémoire et leur cœur jamais ne sauront vous taire, ni vous oublier. Nous avons mené nos vies de soldats avec orgueil, en nous conduisant en hommes d’honneur. Aujourd’hui, tous ensemble, – à cet instant, il les considéra l’un après l’autre et tenta vainement d’intercepter un seul de leur regard – tous ensembles, nous arrivons au bout de notre histoire commune. Vous le savez n’est ce pas, Messieurs ?! »

Il refit le tour des hommes, quelques-uns avaient fini par lever les yeux vers lui. Il reprit alors, presque encouragé, et livra cette fois-ci la dernière salve : « Messieurs, vous le savez, n’est-ce pas, que ce n’est pas une pitrerie ?! Vous le savez, n’est-ce pas, que c’est à nous de conclure ? Vous le savez, n’est-ce pas, que c’est le dernier travail qu’il nous reste à accomplir ? Alors voilà, Messieurs, nous y sommes ! Nous y sommes presque… Et je voudrai que vous y pensiez tous, que vous en parliez même entre vous, avant tout à l’heure. Que vous parliez ensemble de tout ça, et de la manière dont tout ça doit finir. C’est ce qui reste à écrire de notre histoire, vous le savez maintenant. Alors, je vous en prie : soyez inspirés, Messieurs. Soyez inspirés… »

Il se tût. Il en avait assez dit, trop sans doute. Il ne savait pas. Il ne savait plus. Ce n’était de toute façon pas décisif. Il se retourna et regarda au loin à travers la fenêtre brisée de la fermette en ruine, au loin par delà la campagne grise et morne, vide, pour de nouveau entrapercevoir au fond de sa mémoire les épisodes heureux de son aventure, sa vie et ce qu’elle lui avait offert de savoureux et de bon, ses champs et leurs hauts blés, les monticules de terre noire qu’il avait retournés, son père qui, en un jour béni, après des années de discorde et d’incompréhension, lui avait enfin dit qu’il l’aimait, les frêles et douces épaules de sa femme et son rire un peu idiot qui lui avait toujours tellement plu, enfin sa fille du haut de son cinquième anniversaire qui approchait et qu’il ne verrait pas, le miracle incalculable de son regard lancé à la face d’un monde dont elle avait encore tout à apprendre mais qui, porté sur lui, offrait le reflet magique d’une inaltérable liaison, comme si l’exacte compréhension de tout ce qu’il y avait finalement à savoir était logé au fond de lui. Il tenta de figer toutes ces images mais le coup brutal d’un canon, injonction impardonnable, l’arracha de rêveries qui n’étaient que le cœur de son être. Il lui sembla alors que l’enfer venait de se réveiller.

Mais la quiétude se réinstalla aussitôt, sans que le charme qui l’avait investi quelques instants auparavant ne puisse de nouveau s’emparer de lui. Il regarda une brève seconde les hommes qui allaient tantôt mourir avec lui. Puis il détourna une fois encore la tête, dans un lent mouvement hypnotisé. La campagne était toujours la même. Dans un mois, le printemps sauverait du décharnement les quelques arbres qui auraient la chance, peut-être, d’être épargnés par les tirs de mortiers ou les bombardements.

L’officier eut envie d’une cigarette mais il savait que personne ici n’en avait plus guère. Il continua de garder le silence et de tourner le dos aux soldats assis par terre. Il toucha timidement son nez puis se mit machinalement à frotter la cicatrice, jusqu’à ce qu’une douleur apparaisse et devienne suffisamment vive pour arracher à ses yeux une ou deux larmes excessivement salées, dont il pensa furtivement qu’elles étaient le dernier vestige de sa raison d’être.

lundi 12 septembre 2011

Mother Expedition

C’était il y a presque 10 ans. Je ne pensais certainement pas comme je pense aujourd’hui. J’avançais dans un chemin plus distinct, plus défini, car les règles à l’époque se réclamaient davantage des nombreux fantasmes dans lesquels baignait ma vision de la réalité et de la « vraie vie » – chacun connait le sens de cette expression.

Ce fin voile de porcelaine blanche, bien que déjà fissuré de toutes parts, suffisait à ce que je voie et imagine différemment, globalement déterminé par cette gauche gymnastique de débutant. Une acrobatie pourtant bien moins vile et asservie que l’ayant cours, si savamment acquise, si compétitive et à ce point légitime qu’elle ne saurait être remise en cause.

Drôle d’entrée que celle-ci, dans un nouveau siècle à peine maîtrisé. Pourtant l’alibi à vivre autre chose, ou autrement, n’existait pas. Seul le vécu jouait le rôle du géniteur, finalement capable de décider avant toute autre chose de quoi demain serait fait, la bonne décision.

Mon frère et moi avions rendez-vous. Nous étions des justiciers. Il fallait sauver notre mère. Nous nous rejoignîmes sur l’autoroute et filâmes à toute berzingue vers Limoges, cette ville grise qui ne m’avait pas aimé.

Là-bas, avait déjà bien prospéré la bête, la vilaine histoire, celle qui nous enlevait notre maman, au fil des jours et des semaines où nous n’étions pas là pour lutter et nous opposer. L’ennemi était un ogre et sa toute perverse machinerie. Arrêter la mauvaise course, si possible en écorchant l’animal à l’os. Tel était notre saint graal, notre solennelle mission.

Nous étions au cœur d’un mois d’avril dont je ne garde qu’un vague souvenir d’ambiance,  « météorologiquement décevant ». Je me souviens être parti immédiatement après le travail, habillé comme ce cadre que je n’ai jamais été, pas même au fond de moi. Je portais une chemise rose foncé, j’avais assez fière allure et je voulais que ma mère me voie ainsi, qu’elle sache exactement à qui elle avait à faire.

Lorsque nous arrivâmes au 100, rue Casimir Ranson, il faisait nuit depuis longtemps, le fond de l’air était légèrement froid, principalement humide, cette fragrance déjà ressemblait trop à cette Haute-Vienne que j’avais tant connue. Un siècle auparavant.

Triste vérité, mais cela faisait un sacré moment que je n’avais pas vu ma mère, peut-être deux ans, peut-être un peu moins Après de brèves retrouvailles tronquées, où la joie ne parvint guère à dissimuler le malaise de notre discordance, maman me fit très vite pleurer à l’intérieur de moi. Elle était un être que je ne connaissais plus, transfiguré, exsangue, déraciné d’elle-même.

Au cœur de l’action, celle d’une trop véhémente diatribe, et tant la révolte m’emportait, je me mis presque à lui hurler dessus ; comme si je m’adressais à ce mauvais élève, du fond de la classe, qu’on ne supporte pas. Honte à moi, mais je lui fis la grande leçon, à ma mère, en fumant une ou deux cigarettes, depuis ces deux années que je ne fumais plus.
L’air était irrespirable, nous tenions bon, mon frère et moi, ma mère surtout, elle qui encaissait les coups en silence, interminablement. Pascal, à mes côtés, comme il me semblait que nous avions toujours été l’un au coté de l’autre, était moins loquace que moi mais il appuyait chacune de mes affirmations péremptoires et me donnait un courage qui trop de fois aurait pu me fuir et me laisser vide, alors à mon tour sans défense.

« Maman, je veux te sauver ! Maman, nous voulons te prendre à lui, l’infecte… »   Mais Maman n’entendait pas ces mots parce que nous ne savions pas les dire, parce que la rage n’est pas qu’une simple question d’injustice, mais aussi l’inévitable expression d’une limite qu’on sait tapie au fond de soi.

L’autre, l’infecte, « le crapaud » comme le désignait mes sœurs, celui par qui tout ce mal était venu, s’était expressément réfugié dans la chambre du haut, au moment même où nous avions décoché notre première flèche. Drapeau et fierté en berne, il disparut et laissa seule ma mère à son supplice. Nous ne le reverrions pas avant le lendemain matin. Ce n’était pas plus mal, car il était plus aisé de n’avoir que ma mère en face de nous, à martyriser, plus facile de lui dire à quel point sa vie semblait lui échapper, à quel point nous étions, nous, ses enfants, efficients à savoir et à connaître la bonne poursuite, la nécessaire reprise en main. Le juste remède et la justice et le jugement, et ses enfants tels qu’elle ne les avait jamais vus auparavant, unanimement en train d’écraser la seule justice possible.

Cela dura près de deux heures. Je nous épuisai tous, mon frère et ma mère plus sûrement encore que moi, sombre tableau d’une famille à la mine déconfite. Notre partage n’était plus que cela, une déconfiture haletée. A bout de souffle donc, le ventre malaxé par les coups, elle me dit : « Stop Olivier, arrête toi, je n’en peux plus ! Ça suffit maintenant. Pour ce soir, ça suffit ! »
Je la crus sur le champ et me sentis d’un coup si phénoménalement éreinté, que je ne vis pas toute la visqueuse matière, cette pourriture échappée de moi, alors que Pascal doucement se levait et me disait « Allez, viens Olivier, on va dans la cuisine, on va fumer un joint. »

Les particules assassinées, on les laissa par terre, le vaste trou que nous venions de creuser dans chacune de nos viscères.

Après cela, avant d’aller nous coucher, dans une tentative devenue presque incongrue, je pris ma mère dans les bras afin d’y chercher la chaleur et l’affection.  Mais comme je l’avais sans aucun doute bien mérité, je ressentis alors une peur effroyable. La peur d’un vide immense en elle, inconnu de moi, la peur immense d’un vide ressenti à mon encontre, ignorant bien sûr que je venais moi-même de l’engendrer.

Tout ce que je connaissais de la substance même de sa fibre de mère, dans tout l’amour dont nous nous étions toujours nourri et abreuvé, cette source là qui semblait jusqu’alors inépuisable, était tarie. C’était inconcevable, mais c’était là : un être mort à l’intérieur, qui me regardait pourtant dans les yeux, et cette fois-ci, sans faillir. Cette femme incroyable que nous appelions jadis Maman : « Hey, Maman, tu fumes un pet ? Hey, m’man, tu nous fais tes pâtes ?! »

Toujours là. Notre mère avait toujours été là pour nous. Dans nos moments les plus heureux comme les plus compliqués ou les plus douloureux. Avec son extravagance, sa coquetterie, ses quelques niaiseries, et la grande blessure de cet Homme, notre père, qui avait fini par la quitter, mais surtout investie de son inébranlable amour pour nous, ses quatre enfants, son sang, sa chair, son âme, comme elle aimait à nous le répéter, à juste raison. Elle nous avait tout donné, nous étions tous partis. Et mon père, si loin, si définitivement loin, devenu depuis tant d’années si inaccessible, il fallut bien qu’un autre prenne la place. Celui-là était celui que nous nommions « le crapaud », celui qui l’emmenait ailleurs, en des rêves de grandeur qui lui sauvaient la vie, puisqu’ils lui faisaient supporter le jour, le jour d’après, la suite, comme durant toute la vie qu’elle avait bâtie, elle en avait imaginée une autre. Celle qui s’était exactement dérobée sous ses pieds, à l’orée de ses 60 ans.

Aussi, ce soir là, il ne semblait plus demeurer d’elle que ce que nous n’aimions pas. Ce qui ne changeait au demeurant rien à l’affaire. Car les défauts d’une mère ne sont rien en comparaison de son amour. Pascal et moi allâmes nous coucher dans notre ancienne chambre, où nous avions jadis tant partagé. Nous étions désespérés. Totalement abasourdis.

Ce fut un film qui se joua le lendemain matin. Au réveil, ils avaient disparu et nous partîmes immédiatement à leur recherche. L’évènement se produisit  environ une heure plus tard, Place des Carmes, et je me vois encore me poster en plein milieu de la route, arrêter le véhicule d’un Claude médusé derrière le volant et, une fois assis à ses côtés, dans une voix qui ne tremblait aucunement, lui dire : « Tu sais ce qu’il va se passer maintenant, hein  Claude ? »
Une mâchoire distendue et un sans voix unanime plus tard, naquit en nous le sentiment inaugural d’exercer le droit des justes, le droit des fils, le droit de ne pas trop regarder dans le rétroviseur si une autre manière n’avait pas été possible.

Mais pour l’heure, je ramenai Claude à la maison, tandis que Pascal raccompagnait ma mère avec l’autre voiture.  Arrivés rue Casimir Ranson, on les mit dans le bureau et on donna des ordres : « On veut voir tous les papiers ! » Claude avait les mains qui tremblaient et une force neuve nous irradiait mon frère et moi, et débordait parce qu’enfin, depuis tout ce temps, on reprenait un peu les rennes. Les documents étaient vieux, dataient de bien trop longtemps pour donner du crédit à ses dires. Il n’y avait rien là sous nos yeux qui ressemblait de près ou de loin à des engagements prochains avec les télés françaises. Où sont vos rêves, monsieur ?!

Cette première victoire obtenue, et après une trêve dominicale consentie par tous, nous trainâmes dès le lundi matin ma mère à la banque, et la banquière fut encore plus horrible que nous. Elle humilia ma mère parce que ma mère avait perdu pieds, et ses finances avec. Comment combattre efficacement ce qui nous est cher ? On passa ensuite des heures aux impôts, pour apprendre ce que nous savions déjà. Le crapaud mentait, il mentait encore, et ne savait rien d’autre.

Entre temps, ma mère avait même fini par reprendre un peu de sa lucidité, et sa fierté originelle avait refait surface : « Vous savez que je ne me laisserai pas faire, les enfants ? » Elle vint nous voir au soir du deuxième jour et fit tout ce qu’elle pu, en quelques mots, en quelques phrases, pour nous prouver qu’elle était encore elle-même, et que la couleur un peu folle que nous avions donnée à notre expédition n’était pas justifiée.

Cette digression dura presque 3 jours. Au final, nous avions administré de violents coups à la bête et à sa perverse demeure, et celle-ci avait fini par sérieusement vaciller. Mais tout cela ne servit à rien.  Nous échouâmes, parce que le succès n’était pas possible. Parce que, au lieu de tuer la bête, nous la laissâmes vivre. On lui dit : « Tu as cinq jours pour apporter des preuves. » Mais cinq jours plus tard, nous ne serions plus là, et nous n’aurions pas creusé dans les bois ce trou que nous voulions pour lui.


De retour à Toulouse, la bête, que nous ne réussirions donc pas à terrasser, avait déjà pris une autre place. Elle avait migré en moi, venue sourdement se loger au fond des viscères.
Je pris une cuite mémorable avec Mike, et les potes. Un exutoire à la rage et l’impuissance.  Le petit « bouge » était situé non loin du chemin de fer, lancinant et grisé de la fureur des machines. La pièce était petite, le resto était le bar, le bar son meilleur ami. L’heure était venue. Nous bûmes des rhums bien plus que nous mangeâmes.

Je revis ce visage mort qui était celui de ma mère et qui me tuait. Je revis aussi le visage de cet ogre que j’avais épargné et je me mis à hurler, parmi les gens tout autour de moi. Car à la seconde où j’avais accompli ce noble acte de lâcheté, j’avais fait naître au fond de moi un monstre plus hideux encore, plus épouvantable, en cela que les traits de son visage n’étaient que ceux dessinés par notre échec. Notre insupportable échec de fils impuissants, qui, fatalement, ne réussiraient pas à sauver leur mère malgré elle.

L’ogre était là et il resterait. Mon frère et moi étions déjà repartis. Il avait de nouveau carte blanche. Et moi de nouveau seul, seulement Oliv au milieu des autres, pris dans la tenaille, la rage comme toujours devint la seule reconnaissance possible. Et la beuverie, la seule parade imaginable. Je bus, je bus et je bus encore. Jusqu’à pouvoir enfin laisser sortir ce cri rauque et interminable, jusqu’à ce que la bête ne soit plus une approximation pour les autres et surtout pas pour moi, jusqu’à ce que la lumière vrillée du misérable bar ne laisse sur moi plus une seule once, ni de lumière, ni d’obscurité. Egalé dans les deux sens, ombre et lumière pour une seule et même condition : être totalement désarmé.

Alors la femme, la très grosse femme dont je ne me rappelle rien, si ce n’est ses mains qui serraient mon visage, qui m’emmenaient sans cesse entre ses seins énormes, le gouffre de son décolleté sans fin, sa peau chaude et humide, l’odeur de l’alcool dans sa peau et ses veines et les miennes mêlées à la fureur, et son cri de femme pour contrer les cris de mon âme : « Laisse-toi faire, disait-elle, laisse-toi faire, en appuyant encore plus fort sur mes tempes. Je vais te sauver mon garçon, on va te le faire sortir le diable, on va le faire sortir de ta tête, le diable ! » Et c’était bien tout ce qui comptait alors…

mardi 6 septembre 2011

Les bruits sont ceux des hommes autour de moi...

V1
Les bruits sont ceux des hommes autour de moi (je ne les distingue pas tous) tandis que la lumière crue et chaude m’est épargnée tant que je le décide (je suis loin et je suis proche)
Ce qui me convient est à partir d’une main ouverte (mes yeux, mon esprit ou encore ma main réelle) et n’est fait que de visions connues et sous-estimées (ce que la connaissance et l’instinct se partagent à chaque instant)

Alors que dira le temps qui passe tout près de moi si je ne m’active plus guère (immobile et serein) et que d’une minute à l’autre je m’assoupisse enfin (ce n’est qu’une excuse, chuuuuuut…) pour me réveiller tardif à l’heure où plus personne ne m’attendra ?
Le soir, la nuit tombante, les souffles éparpillés…

V2

Les bruits sont ceux des hommes autour de moi. Je ne les distingue pas tous.
Ce qui me convient est à partir d’une main ouverte (mes yeux, mon esprit, ma main réelle)
Alors que dira le temps qui passe tout près de moi si je ne m’active plus guère (immobile et serein) et que d’une minute à l’autre je m’assoupisse enfin (ce n’est qu’une excuse, chuuuuuut…) pour me réveiller tardif à l’heure où plus personne ne m’attendra ?
Le soir, la nuit tombante, les souffles éparpillés…

V3

Je suis allongé à l'ombre d'un arbre, sur l’herbe tendre d’un parc, à Paris. Le printemps s’offre déjà sans restriction.
Déjà presque immobile, je regarde les proches alentours, dévisage discrètement les passants, détaille leur gestuelle, pour conclure illégalement sur leur caractère, leur mode de vie, leurs rêves…
Puis je ferme les yeux et j'écoute...
Après cinq  minutes demeuré les yeux clos, cultivant la sérénité dans l’immobilisme, je renoue avec la lumière. Saisissant feuille de papier et crayon, je jette un petit coup d’œil circulaire, ne m’attardant sur rien de précis, dans une seule manière de ré-envisager l’interaction qui me lie au Vivant  et à la Terre. Alors j'écris ça :

Les bruits sont ceux des hommes autour de moi.  Je ne les distingue pas tous…

Je fais partie du monde. Mais il me demeure incalculable…

samedi 3 septembre 2011

Au centre

Un beau type, d’un physique sans faille, bronze doucettement au bord de la piscine. Il tient mollement le poignet de sa femme, allongée à ses côtés. Il semble sobrement heureux, un air de sans rancune pour ce qui n’est pas advenu inscrit dans ses traits, un peu vieillis, seulement ridés aux coins des yeux par les inadvertances mensongères de sa propre vie, le parcours ténébreux des entourages et le souvenir finalement tangible des larmes passées. Celles-ci ont creusé les sillons d’une diplomatie d’usage, celle des grands hommes, celles de ceux qui ont compris. Car c’était bien çà l’enjeu.

Notre homme pourtant a mis du temps à se laisser convaincre. Tardivement, après bien d'autres, cela s’est tout de même produit. D’un coup, surprise émérite, un équilibre rompu sans vacillement préalable, une sensation diffusée à l’ensemble de son être en quelques secondes, alors suffisantes pour analyser le phénomène, tandis même qu’il survenait. Une pensée se formula brutalement en lui, distincte comme l’eau d’une pierre :  «La contenance disloquée de mon humanité ne fait pas de moi un être disloqué ; elle fait de moi un individu ergonomique, parvenu à l’équivalence des coups infligés, des rêves abattus et des retrouvailles avec le ciel. Abouti, affranchi, déculpabilisé de n’être qu’insuffisances.  Je ne suis que moi… Et il me semble que j’acquiesce enfin. » 

Il relâche la faible étreinte, tandis que la furtive souvenance s’enfuit. Les doigts libérés lui grattent la hanche en une espèce de manie estivale qui advient après le solstice, si le printemps s’est contenté d’être lui-même, décongestionnant. Que lui rappelle ce geste ? Qu’il n’a pas toujours été tranquillement allongé au bord d’une piscine rectangulaire, dans l’alternance d’une démangeaison de zones imputrescibles et d’une esquisse d’amour, entourant de sa main l’avant-bras ténu de la femme qui partage sa vie. 

Elle demeure à ses côtés, utilisant savamment et en silence le langage qu’il a lui-même créé. Sans lacune, elle lui raconte l’histoire écrite par lui, celle de ses amours impossibles qu’il a bien fallu faire taire, puisque ne subsistent aujourd’hui que les preuves multipliées de leur unanime déficience. La sagesse affective l’épargne et finalement, le nourrit plus durablement. Il la regarde dormir, ou peut-être somnoler, et se dit : «La juste configuration vient de l’amertume qu’on maîtrise jour après jour, échafaud du progrès véritable. L’exercice de style naît de cette prouesse ! Car il en faut de la persévérance pour survivre sans affaissement. Mon dos n’a de courbé que la colonne, imperceptible face au rythme endiablé de sérénades aujourd'hui enfuies, et qui ne résonnent plus guère.»

Il se lève, investi d’une exaspération nouvelle, encore indécelable pour elle, qui stagne, lézardée au sol. Deux pas, un pied tente l’eau moite, se rétracte et revient, plus courageux. Il plonge et mouille ses cigarettes. Il sort furieux, emmène sa querelle ailleurs, sans préciser...

Plus tard, elle vient le voir, lui qui n’est pas réapparu. Dans son seul geste d’approche, il sait qu’elle tentera dans une seconde de démontrer quelque chose qui n’existe pas complètement. Elle lui propose ses lèvres, qu’il suçote d’abord sans réel investissement, avant de s’y intéresser plus soigneusement. Après avoir fait l’amour -  ils n’ont d’enfants que dans les rêves de l’autre – il se désengage d’elle sans précipitation. Et de nouveau la main qui tente mais qui n’y parvient pas. La caresse, comme un doux leurre. Il allume une cigarette et regarde au delà de la fenêtre, un écran où les images qui défilent sont celles qu’il fait naître lui-même. Son errance imaginaire devient rempart face au vide, le protégeant de l’absence laissée par les mots qu’il ne pourra dire, à seule raison de ne pas les connaître au fond de lui.

Elle se lève maintenant et se dirige vers la salle d’eau. Il demeure seul dans le vaste salon aux baies vitrées, les yeux  n'ont pas quittés l’écran. La nuit tombée est belle et sèche. Il n’a bientôt plus besoin de faire venir des images ou d’inventer un quelconque scénario. Il se met sincèrement à espérer la pluie et plus follement ensuite, un orage d’été venant démettre les ténèbres.