dimanche 25 novembre 2012

Chemin de Catalogne


Plage nord, entre périphérique et World Trade Center, Barcelone, Espagne.  Dimanche 26 août, 14h00.



  
Je suis assis dans un sable catalan. J’ai beaucoup marché depuis hier et beaucoup pris le métro. Barcelone est une ville de marche et de métro.

Jeudi soir, juste avant la tombée de la nuit, j’allai voir le front de mer, comme je le fais assez souvent après le travail, soit en vélo, soit en voiture. Ce fut en vélo cette fois-ci, à vive allure, dans le besoin de se faire un peu chauffer les cuisses. J’eus l’immense surprise, en cette fin août, de découvrir une mer agitée, houleuse, où une bonne quinzaine de surfeurs s’adonnaient à une glisse un peu décousue dans des vagues d’environ un mètre.

Je pris le temps de digérer le fait que j’avais fait une heure trente auparavant le choix de rester un peu chez moi avant de sortir, et que j’aurai pu moi aussi profiter de cette session. J’engageai la conversation avec un surfeur du coin, que je reverrai dès le lendemain, et je pu apprendre un peu des houles méditerranéennes dont j’ignorais encore presque tout. Celle-ci devait durer au moins une journée de plus, peut-être même jouer les prolongations de samedi.

Le lendemain matin, vendredi, je me levai en conséquence, à 6h00, le jour n’était encore qu’un songe. Je bus deux tasses de café, avalai mes sempiternelles brioches et je chargeai la voiture avec la fidèle Hap, celle pour qui va ma préférence parmi les quatre planches de mon Quiver (Webber 6’6 ; Becker 6’10 ; Hap Jacob 7’2 et Ocean Safari 8’0). Je mis le sac de combis dans le coffre et je pris la route du Grau. Je suivis comme d’habitude l’Hérault jusqu’à son embouchure. Ses bateaux, sa Marina, ses eaux calmes, sa piste cyclable déjà tant de fois parcourue, tel un chemin d’espérances, où se mêlent, vivent et se  perdent tout ce qui n’est plus, tout ce qu’on a appris et désappris et, sans omission possible, tout ce qu’il faudra encore accomplir.

Peu avant de parvenir sur le parking qui fait face au front de mer, j’exécutai plusieurs signes de croix, comme une chance de plus dont il ne faut pas se priver. Je vis alors la houle, cinq ou six surfeurs déjà à l’eau et je souris, tandis qu’à voix basse s’échappait de moi un très simple « merci ».  Je savais que le temps m’était compté, il était déjà presque 7h et je devais être au travail entre 8h30 et 9h00. Tout en enfilant mon shorti et en waxant la Hap, une vieille histoire s’insinua en moi, une sensation vieille de plus de deux décennies pourtant encore si précise à cet instant, parfaitement lumineuse. Je me revis effectivement collégien, à la fin des années 80, me lever avant les cours et quitter les Amaryllis pour aller me mettre à l’eau à la Cocoteraie, pour surfer avec mon frère et les copains nos merveilleuses vagues molles guyanaises. Surfer avant d’aller au taf, ou la respiration d’un monde disparu, qui se remit à vivre durant quelques secondes.

Une fois à l’eau, il me sembla que tout était parfait. Les vagues étaient moins folles que la veille, bien ordonnées. Il n’y avait pas tout à fait un mètre mais il m’importait peu. Le soleil explosa subitement à l’Est et cette aube valut d’un seul coup bien plus qu’une seule et simple session. Je restai une heure et quart à l’eau, attrapant peut-être une quinzaine de vagues, avant de quitter en toute hâte cette intermède analeptique pour aller vivre ensuite l’une des plus éprouvantes journées professionnelles qu’il m’ait été donné de traverser.

Je quittai cette mauvaise arène vers 19h00, vidé, mal dans ma peau, parce qu’il est de toute évidence des frontières que l’on ne veut pas voir franchies dans le cadre de son travail. Alors je pris la route comme ça et j’allai vite, trop vite, le plus vite possible, jusqu’à chez moi. Je me changeai et refis les mêmes gestes que le matin même. Le sac de combis et la Hap chargés, je suivis la route du Grau. La vague à l’embouchure fonctionnait toujours lorsque j’arrivai sur place. Il y avait du monde à l’eau et pas le temps de tergiverser. J’enfilai mon shorti et allai immédiatement à l’eau. L’anarchie avait repris du poil de la bête et le plan d’eau n’était plus celui du matin, devenu gentiment chaotique. La houle avait forci, dépassait le mètre et je passai ma rage pendant plus d’une heure et demi, jusqu’à la nuit, ayant vu depuis le pic le soleil fondre dans l’Hérault, dans une courbure rougeoyante et torturée absolument magnifique. Comme une vie qu’on lave de tous ses maux.

Je tentai de renouveler l’expérience le samedi matin. J’arrivai sur le front à 8h00, la houle s’était enfuie. Je retrouvai le surfeur de l’avant-veille au soir, qui sortait tout juste  de l’eau et qui avait, s’étant levé aux aurores, pu profiter des derniers soubresauts. Je discutai assez longuement avec lui, j’étais déçu mais je me sentais bien. Il me raconta de nouveau sa mer et son surf, si aléatoire, si capricieux, si capable parfois de vous offrir un peu de la magie du Monde. Nous évoquâmes ensuite l’Espagne et le surf ibérique, à haut potentiel en certains endroits de ses côtes.

Revenu chez moi, sans avoir rien à attendre de plus du jour qui se présentait, je rassemblai tranquillement sur internet quelques infos pratiques en buvant des cafés et en fumant autant que possible, puis je préparai un petit sac d’affaires, brosse à dents y compris.  Une fois prêt, il était un peu moins de midi, je pris la route, encore une fois. Direction Barcelone.

Je roulai sans m’arrêter, toujours à vive allure, jusqu’aux proches abords de la Cité. Je m’arrêtai à une station pour téléphoner à mon frère, et lui dire où j’étais. Et puis je m’enfonçai dans la ville, sans savoir où j’allais. Après quelques errances, et par la magie du hasard, je tombai subitement nez à nez avec la Sagrada Familia. Je roulais doucement et ma réaction première fut un très spontané : « Putain de merde ! » quand je découvris le très improbable monument inachevé de Gaudi. Je garai la voiture de manière illicite un peu plus loin – impossible de stationner dans cette ville ! – puis je regardai longtemps l’œuvre monumentale. J’étais à l’unisson avec beaucoup de monde alors, la tête levée vers le ciel, tentant de trouver les meilleurs angles possibles pour mes prises de vue. J’y passai un long moment, la foultitude m’avait absorbé, et la déraison du lieu sonnait comme l’exacte musique interne.

Après une demi-heure pleine et un nombre incalculable de clichés, j’abandonnai la Sagrada pour retrouver la voiture et me mettre en recherche d’un garage. Je tournai dans les rues barcelonaises pour rien pendant très longtemps avant de revenir sur mes pas et dénicher un garage privé à deux pas de mon premier arrêt. 30€ pour une journée, et le poids en moins d’une voiture, qui serait en plus bien gardée. J’achetai ensuite un Pass Métro 2 jours, un plan de ce dernier et je pris la ligne menant au cœur du quartier Gracia. La modernité du métro barcelonais me surpris agréablement. Très propre, cabine climatisée, investi par un peuple guilleret, dont la légèreté naturelle semblait dominer tout autre état d’être. Avant de monter dans la rame, je me fis accosté par une anglaise : « Could you, please ? » me demanda-t-elle en me tendant son numérique, ses trois jolies copines juste un peu en retrait, unanimement en train de sourire. Je fis de mon mieux, avant de doubler, comme à mon habitude. J’eus droit à un savoureux « Thank’s mate » immédiatement suivi d’une petite moue espiègle. Un moment de rien, trois secondes, alanguissant pourtant sans équivoque le chemin entrepris.

Il me fallut ensuite réaliser une marche d’une vingtaine de minutes pour rejoindre le Parc Guell. J’y passai presque trois heures, et si la vision première de la Sagrada m’avait époustouflé, les allées de ce parc, innombrables, m’absorbèrent complètement au fil des minutes et des méandres parcourus. J’y pris tellement de photos qu’au bout d’un temps, je compris que je ne pourrai de toute façon pas capturer la réalité de cette œuvre dans sa globalité. J’y restai jusqu’à la tombée de la nuit, envahi par le miracle de notre espèce,  ses grands hommes et leur ineffable talent à magnifier la condition humaine.

De retour en centre ville, je me mis en quête d’un lieu pour dormir. Je débarquai sur El Passeig de Gracia et trouvai un hôtel où il restait une petite chambre disponible. J’allai chercher mes affaires à la voiture, mangeai un bout sur la place de la Sagrada, et rejoignis ensuite les pénates du soir. Tandis que la nuit était pleine et que la ville se préparait à fêter son samedi soir, je fumai une cigarette à la fenêtre de ma chambre, située au septième étage. Je ne dominais pas la ville, mais seulement l’un de ses fragments. Juste en face de moi, de l’autre côté de la rue, se dressait un hôtel de grand luxe, où, sur la terrasse privée du dernier étage, se donnait un concert en plein air. Une femme, qui me sembla très belle, et un pianiste. Sa voix cristalline, ses gestes de la main pour accompagner les arpèges de la douce mélodie jazz, jouée sans emphase mais avec précision et douceur, me firent une nouvelle fois chavirer. Cette ville m’avait prise en l’espace de quelques heures et ses atours me renvoyèrent soudain, sans aucun préalable de survenance, à ma condition. Je me mis à pleurer en écoutant l’élégante dame et son pianiste et, pour ne pas fondre complètement, je retournai dans la rue…


Et me voilà sur cette plage. Tout à l’heure, je me promenais sur les allées du Port Well, lorsque j’ai croisé une surfeuse, une planche jaune et blanche sous le bras, qui marchait d’un pas extrêmement décidé. Je l’ai observée quelques secondes et j’ai décidé de faire demi-tour. Je l’ai suivie. Ou ai-je tenté de la suivre, devrai-je plutôt dire. Car, à ma grande surprise, j’ai finalement réussi à la perdre, tant son allure était vive et tant le monde en mouvance, si dense, ne facilitait guère cette douce poursuite. Mais ce n’était qu’un moindre mal, parce que son spot, le but de cette marche effrénée, s’était déjà révélé à moi.

Je suis donc au bord de l’eau. Il doit bien y avoir cinq ou six pics qui fonctionnent correctement. Des vagues courtes, creuses, sans doute un peu molles, d’un bleu scintillant et profond. Un très beau jouet méditerranéen, dans lequel s’amuse une bonne cinquantaine de surfeuses et surfeurs. Et, tout autour de moi, des corps dénudés, parfois intégralement, beaucoup de beauté, qu’elle soit masculine ou féminine, des sourires, des amoureux enlacés langoureusement et, un constat qui émerge telle une évidence : il doit faire bon vivre ici. Il ne s’agit pas d’établir un quelconque cliché de plus, celui du touriste de passage, mais il règne ici une ambiance générale séduisante, enjouée, dotée d’un brin d’exubérance et de bonne humeur auquel il est difficile d’échapper. Je me suis promené pendant des heures hier soir, du Camp Nou  aux longues allées du Passeig de Gracia où les gens déambulent avec nonchalance ou sont tranquillement posés sur des bancs, à discourir pendant des heures. Une certaine approche du temps, qui semble un peu s’effacer devant ce regain de maîtrise.

Et maintenant que tout cela est dit, quel est le vrai sujet ? Le vrai sujet est celui d’un regard, celui d’un choix. Un regard parfois suffit à tout changer, le monde que l'on croyait nôtre, celui que l'on avait bâtit. Ce regard porté en nous agit comme une rivière, une rivière de nous-mêmes, de nos sentiments, de notre fondation, là où le cœur ne bat pas, mais seulement là où il réside. Quant au choix, l’essence même de celui-ci se révèle parfois dans un acte minuscule, comme prendre seul le chemin de la Catalogne, le temps d’un week-end accéléré, dans le très simple chemin entrepris. Inévitablement, sans autre occurrence possible, la question fondamentale s’érige d’elle-même : y’a-t-il un intérêt à voir et découvrir le beau, si l’on ne peut partager la vision ?

Je suis maintenant à la terrasse d’un restaurant qui cadre parfaitement avec le lieu, le jour, l’instant. Au bord de l’eau, manufacturé bois, la musique d’ambiance diffusée est celle que j’aurai pu mixer voilà quelques années, à dominante downtempo et menues connotations ethno. J’ai bu une bière, avalé un steak et une salade. Le temps s’arrête et je devine vos visages, juste là, en retrait, dans l’infime espace d’une peau qui me prive de vous.  Et si je pleure, c’est que je dois être encore vivant, exactement là où je me suis placé, sur cette plage barcelonaise, éparpillé aux quatre coins du Monde…





lundi 12 novembre 2012

Ne pas cesser

Bureaux de Marseillan. Lundi 1er octobre, 10h30, une pensée voguant entre hier et aujourd'hui…


Je viens de te déposer. Tu es encore avec moi, partout dans la voiture ; elle est même envahie par toi. Voici quelques minutes, sans connaître un nom dont tu n’as de toute évidence pas besoin, tu m’as dit que tu aimais Dead Can Dance :

« Elle est belle ta musique, Papa », alors que passait Agape, l’une des chansons les plus réussies de leur nouvel album, Anastasis.

Dès l’instant où je t’ai quitté, j’ai roulé à vive allure, et j’ai immédiatement allumé une cigarette. Je traverse maintenant le village et le soir tombant donne aux briques rouges de l’Eglise des atours un peu magiques. L’écho du monde, ce que je peux en percevoir, n’est qu’un chuchotement serein que l’on envisage seulement par inadvertance, dans cette course qui ne faiblit pas.

Je me dirige vers la nationale qui m’emmènera vers Toulouse, avant de prendre l’A61, route du Sud-est. Au rond point, je m’arrête brusquement. Je sors de la voiture et je regarde simplement l’offrande du soir. Je n’ai pas l’appareil photos, le mauvais oubli du week-end. Alors je shoote avec le Smartphone, trois ou quatre clichés à la volée, et c’est exactement comme si je partageais ce paysage de Gers avec toi, déjà si loin de moi, et pourtant si présent...

Je vois les deux panneaux indiquant le sens interdit. Un camion s’engage dans le rond point et le chauffeur, tandis qu’il passe la seconde, me regarde d’un air assez redoutable, comme s’il me suspectait d’une légère infraction. Ai-je pris un sens interdit ?

Je reprends la route, seul au monde, dans la sensation pourtant exacte d’être innervé par l’amour d’autrui, comme si les veines étaient l’amour lui-même. Les kilomètres s’effacent et Brenda Perry pose les bases du conciliabule musical tandis que je repense à ces fameux sens interdits, ces routes hasardeuses où tout se joue en vérité. La nuance n’est pas moins dans le cœur des hommes que dans la lumière d’un jour descendant, ou dans l’absolue vitalité d’un sentiment. 

Mon fils... De ce parcours qui nous fait tous les deux, depuis l'instant où je t'ai vu naître, j'ai tant appris. J'apprendrai tant encore de toi, et sans aucun doute jusqu'au dernier souffle. Je te vois, même quand tu n'es pas avec moi et je sais ce que je n'avais jamais su auparavant.. La leçon, ce n'est que l'amour et c'est la plus belle leçon qui soit. Il faut prendre et donner,  ce que nous sommes, ce que nous avons été, ce que nous serons. Et ne pas cesser…