mercredi 29 mai 2013

La Reine Coquelicot




Est-ce que tous les hommes poursuivent de grands rêves ? Ont-ils seulement le choix ?

L’amour est-il le plus grand de tous ? Fait-il de nous des êtres  humains ?

Ceux qui sont morts, ceux qui ont vécu, ceux qui nous ont construits, ne les oublions jamais. Ils sont notre cœur qui bat.

Dans la pâle lueur du nouveau jour, se dessine déjà l’esquisse d’une prochaine rêverie. Il faut ouvrir les yeux, respirer l’air de la Terre, sentir le sang cogner à l’intérieur de soi, la navigation de notre âme. Notre constitution.

Peut-on remplacer un grand rêve par un autre ? Nous avons tous la réponse : nous sommes vivants. Mourir ne suffit pas.

C’est dans le Choix que l’on trouve ce que l’on est.  C’est en Lui donnant corps qu’on le devient vraiment.

Les pages s’endorment, le miracle subsiste.

Le cœur, le souffle et la vertu.

La Ligne, l’espérance de demain.

Au revoir, comme on dirait je t’aime. Dans la caresse des anges, tous ceux qui croient en nous… 

samedi 18 mai 2013

Ephemeris






Alors...

Je suis dans  la rue, un étranger. Des noms résonnent dans ma tête, il fait plus froid au dehors qu'au dedans.

Je suis dans une rue sans nom, des visages s'amusent à défiler avec Fantômas comme chef d'orchestre. Je n’ai pas vu assez de ses films. Il m'en veut, c'est sûr. Alors à la fontaine des horreurs, je vais boire un peu d'eau colorée de bleu ; sans doute est-ce la couleur adéquate.

Je vais voir si j'y suis pas et j'y suis pas. Alors je rentre chez moi boire un peu d'eau verte, là dans le frigo des aliments frais ; ne sont plus que les hypermarchés qui comptent. Au bout d'un moment, je vais voir dans la glace si l'espion y demeure toujours et il y demeure toujours. Je laisse l'espion en me demandant s'il pense comme moi à propos de lui : y sera t-il encore la prochaine fois ?

Cette pensée me réconforte, alors je retourne dans les rues qui ne portent ni nom, ni emblème, seulement les gens qui marchent dessus. C'est une belle histoire, j’me dis, en voyant que l'amour peut être aussi introuvable que le béton prolifère partout. De là, naîtra peut-être un cauchemar moins pénible que le précédent.

J'étais nu, seul, au milieu d'une troupe d'artistes. Se trouvaient là un trapéziste et des jongleurs, une belle femme – car même dans les cauchemars j’ai besoin d’un peu de beau - un ours blanc roi de l’animalité,  ainsi qu’un magicien avec des jeux de cartes innombrables qui exécutait des tours assez fantastiques mais dont la mémoire n’a pas le droit de se souvenir.

S’exerçait également un lanceur de couteaux qui visait au mieux le mauvais coeur qui réside en chacun d'entre nous. Celui-ci était merveilleux et en noir et blanc et il imposait le Droit sous la voûte des cieux humains car il ne craignait jamais de rater le Mal. Des danseuses d’Eros dansaient si lancinement qu'elles réinventaient l’hypnose dans leur mouvance. On aurait dit qu’elles voulaient atteindre elles aussi la voûte de leur grâce avec leurs talons en aiguilles d'or, car briller fait aussi partie d’un rêve, même s’il est cauchemardesque.

Etaient finalement présents un nombre impressionnant d'acrobates mais eux, ils avaient un air menaçant de gangsters et puis surtout, ils rebondissaient dans tous les coins et en tous sens, sans s'occuper de la gravité ou d'autres problèmes du même genre – et on ne pouvait pas leur en vouloir.

Sauf moi.

Parce que j'étais nu et que je ne faisais aucun tour. Je n'étais ni beau, ni en noir et blanc, ni rebondi, ni en plastic souple, ni touché par la grâce ou la sensualité, ni en nombre en fait. Je n'avais pour moi que mes yeux grand ouverts et ces derniers, loin de pouvoir cacher mon sexe peureux et atrophié, ne dissimulaient pas non plus mon grand trouble, du fait de me retrouver dans ce monde d’hyperboles, sans aucun autre artifice qu’une irascible envie d’y échapper, comme on veut parfois et à tout prix ne pas faire partie d’un Tout.

Mais il fallait que le show go on, bien que je fusse encore sous le joug d’être la seule conscience narrative fréquentable de ce songe. Les premiers changements advinrent ainsi et l’obscurité cerna en un instant ce soleil fou et brutal qui faisait la lumière plus belle qu'une simple lampe même très puissante l'aurait faite –  il ne s'agit pas de prendre partie mais quand même.

Cette pénombre nouvelle fit de ces êtres des êtres encore plus beaux et magiques qu'ils ne l'étaient déjà dans la respiration des âmes endormies, car je les voyais moins clairement, une devinette, et je sentais leurs souffles à tous, discrets, doux et fugacement envahis de certitudes intemporelles.

Leurs mouvements semblèrent suspendus aux invisibles fils d’un poème de troubadour ; on désirait tellement la cueillir cette beauté insufflée des anges et qui coulait dans leurs veines  d’alcôves de pacotille, que je me sentis légèrement mieux, car discrètement oublié et sensiblement moins visible, mais toujours aussi nu et malgré tout, pas encore au bout de tous mes rêves.

Cependant, bien trop vite à mon goût et sans que je n’y fis nullement préparé une fois encore,  les choses comme on dit prirent soudainement une autre tournure : ce premier mouvement de soleil et de découvertes laissa place à un second, qui me parût très impatient et aussi désinvolte qu'inévitable, la tempête venant déchirer les chaleurs estivales en un immense craquement d’air.

C’est ainsi qu’un projecteur braqua horriblement sur moi une lumière abominable de robustesse. Le prodigieux effet de mise en garde était d’autant plus convaincant que tous les mouvements et les souffles s’évaporèrent au même instant dans le mystère et l’immobilisme.

Je restai totalement interdit, oubliant même la nudité de ma condition, d’ailleurs toutes les autres conditions avec elle. Que pouvais-je bien faire ? Que pouvais-je espérer ? Existait-il seulement l'ombre d'une solution ou d’une échappatoire ?

L’évidence n’était qu’un Non majuscule, un de plus : mon rêve ne me laisserait pas filer aussi facilement. Aucune chance.

Alors je pensai très fort à la dernière étreinte. Cela avait été pas mal quand même, j’avais besoin de faire la part des choses. Fermant bientôt les yeux, créant le vide partout autour de moi, j’allai chercher dans les recoins profonds de la mémoire l’intimité d’une nuque et les reflets d’un regard qui peut à lui tout seul brûler entièrement l’univers. Je m’imprégnai aussi ardemment que possible de ce tempo qui est une vie à part entière, dans l’exclusivité et la puissance des saccades, dans la vérité des essoufflements et dans la peau, dans la peau qui t’envahit si parfaitement qu’elle en devient la seule mappemonde possible. 

Et bientôt alors je bandai. Incontestablement.

Et cette incontestabilité détruisit immédiatement le projecteur et tout ce qu’il y avait de néfaste dans le rêve. Tous alors, acrobates, danseuses, jongleurs, ours blanc, magicien, trapézistes, m’applaudirent, unanimement satisfaits. Ils m’applaudirent longuement, sans emphase et sans complication exagérée et quand ils eurent fini, ils se dissipèrent dans les brumes claires de l’éphémère certitude selon laquelle je faisais maintenant partie d’eux.  


Quand je me réveillai, j'étais en sueur et aussi soulagé que l’on puisse l'être dans ce genre de moment, quand l'aube s'amuse encore avec la lune cachée au loin et que seuls quelques pigeons font du bordel.

jeudi 16 mai 2013

Jerrican


Je voudrais que tu sois là. A mes côtés. Je t’ai vu verser des larmes ce dimanche. Il m’a semblé que j’aurai dû te prendre dans mes bras et te serrer contre moi. Pour te dire très doucement, en allant chercher l’odeur intime de ta nuque, que je serai avec toi si tu le décidais…

 Trois salves de mots plus tard, rien n’a changé. Sauf ce chiffre au bout des deux mille, qui démontre que le compteur tourne et qu’il nous baise sans doute plus sûrement à chaque nouveau tour. La douleur du monde peut-elle être contenue dans un seul ventre ? Ou faut-il s’affranchir de sa propre peine pour avoir ne serait-ce qu’une infime chance d’en appréhender la contenance universelle ?

Je suis impuissant face à ce défi qui consiste à être. L'amour est quelque part, en fuite. La rédemption elle aussi se dérobe. Peut-être sont-ils tous deux partis en ballade. Une longue promenade, silencieuse et nécessaire, afin que je mesure finalement le poids de leur absence.  Ne soyez pas trop longs !

Il faudrait encore avouer ne plus exister qu'au travers de réminiscences approximatives. Aurai-je encore  le droit d'aimer une fille de 20 ans ? Je pense que non. Mais je suis sûr du contraire...

Elle conduisait la voiture et le temps était gris et pluvieux. J'étais en pleine montée de MDMA. Mais je contenais ses vagues avec une certaine sérénité. Elle, à mes côtés, semblait triste et l'était sans doute vraiment. Son regard si profond ne ravalait que partiellement les larmes, de sorte que je n'avais plus qu'à m'y jeter, avec ma chair inaltérable d’enivré. Elle était ma bien-aimée, sans que je ne lui dise et sans que je ne parvienne toutefois à le lui cacher  entièrement. Comme il fallait être fou pour ne pas crier, ou lui dire un peu plus bas :

- Je me sens aux côtés de la femme qui doit être à mes côtés. A mes côtés en ce jour où tout recommence puisque les chiffres changent, mais où rien n'est neuf.  Car si je faute encore avec la même ardeur, celle d'un effronté un peu futile,  je ne souhaite pourtant pas autre chose qu'une vie certaine, bien bâtie, armée d'une tête conquérante reposant sur des épaules fermes, et doté d'un cœur puissamment capable de battre encore la chamade sans dérailler. Être assoiffé de toi sans souffrir, ma bien-aimée, comme on l'entendrait peut-être dans un conte imaginé pour des adultes consentants. 

Ma bien-aimée, ça sonne un peu cloche. Mais ça sonne. La route a filé comme un mirage et à la station, je n'ai pas réussi à dévisser le bouchon du jerrican d'essence. Elle s'est moquée et a dit :

- Ben Didi, t'es pas dégourdi ! Ou c'est peut-être moi qui aie dit :

- Je ne suis pas dégourdi ! Alors elle m'a montré :

- Tu enfonces et après tu dévisses, enfin quoi !

Alors j'ai versé les dix euros d'essence dans le jerrican et on est reparti.  Et je n'avais pas honte. Parce que je l'aimais dans le silence de la grisaille du nouvel an et que je n'avais pas à rougir de mon incapacité à savoir quoi en faire de cet amour, comme de dévisser ce bouchon d'essence, ou comme de mener ma vie correctement, au bas mot. Trois salves de mots ne suffisent pas à taire les maux. Elle m'a dit hier soir au téléphone :

- Il faut que j'accepte la beauté autour de moi, afin qu'elle ne me fasse plus mal. Les belles choses me rendent pessimistes.

- Oui, j'ai répondu, il faut leur laisser une chance. 

Et il suffisait que je lui dise cela pour qu'au fond de moi mon ventre ne se déchire de nouveau. Ces mots me parlaient, en la résonnance d'un autre moi-même, ancien mais que je n’avais pas pu oublier. Il faut faire confiance à son ventre, quand il ne se réfère pas à l'état présent.

Les mots  se sont tus maintenant. Je suis seul et les bruits sont ceux d'un frigo en bon état de marche. Myriam, qui n'a pas vingt mais trente ans et quelques poussières, ne ronfle plus à côté  de moi. Elle est repartie. Et moi je vais aller dormir et m'agiter.

Elle a passé une nuit ici, pour récupérer et réparer son camion tombé en panne lors de son dernier périple toulousain, une semaine plus tôt. Elle avait alors passé trois nuits chez moi, dont deux dans mon lit. On avait bu des bières et fumé des joints chaque soir, mais on n'avait pas fait l'amour. Ça voulait sans doute dire qu'on était potes.

Une extraterrestre elle aussi. C'est pour ça : les extraterrestres ne se reproduisent pas entre eux. Ils errent tout seul, jusqu'à à la fin des temps, en espérant qu'un autre alien leur ressemblera suffisamment pour accepter de partager la croix.  Mais on ne s'affranchit pas de ça non plus : les autres aliens, ils t'emmènent avec eux aussi loin qu'ils savent le faire, sans autre destination à proposer qu'un très joli nulle part.

C'est Eli qui a tenté de changer le démarreur ce matin. Il s'est fait jeter au matin du 31 décembre, histoire que 2006 ne soit pas gâchée dès le premier jour. Il est bien ce type.  Mais ça non plus, ça n'a jamais rien empêché.

Myriam m'a laissé un beau morceau de foie gras dans le frigo, ainsi que quelques petits bouts de shit et une cigarette en morceaux,  soigneusement déchiquetée afin que je ne puisse la fumer. Mais j'ai quand même fumé le plus grand morceau dès que je suis rentré chez moi et que je l'ai découvert, tout à l'heure.

Elle a également laissé une carte postale pour le Shaman, une photo prise en Chine, d'une scène agraire, où la sérénité et l'harmonie semblent partout, en la moindre parcelle de lumière et dans le reflet des yeux sombres du buffle d'eau et dans ceux aussi des hommes couverts de chapeau de paille. La carte est agrémentée d'un proverbe  chinois qui dit : agir  pour le meilleur, se préparer au pire, prendre ce qui vient. 

Je sais que Myriam a soigneusement choisi cette carte pour que celle-ci s’accorde heureusement à la collection du même type, qui orne l'un des murs du restaurant.  La carte fera plaisir à Ivan, à coup sûr.

Enfin, Myriam m'a laissé un mot sur la table basse du salon. Elle y a écrit des mots gentils qui ne sont pas tout à fait vrais et les conseils d'une grande sœur peut-être au moins aussi paumée que le cadet qu'elle voudrait éclairer.

Mais je n'ai fumé que trois vraies cigarettes aujourd'hui. Cela doit faire au moins trois ans que je n'ai pas fumé aussi peu. Tenter d'arrêter de fumer, ça fait venir les larmes plus facilement. Après avoir arrêté de fumer, de pleurer et d'écrire pour tenter de comprendre pourquoi je pleure, je pourrai toujours me rallumer une clope en prenant la main de ma bien-aimée  à qui je dirai par exemple :

- Tu te rappelles cette fois-là, quand le chiffre au bout des deux mille avait une fois de plus basculé, nous n'étions que deux esquisses alors, comme j'avais été  incapable de dévisser le bouchon du jerrican d'essence ? 

Elle répondrait dans un rire furtif et un ton finement sentencieux :

- T'es pas homme à marier, ça c'est sûr ! Et puis de m'embrasser comme ça, en prenant ma lèvre supérieure entre les deux siennes, avant d'ajouter :

- Mais c'est pour ça que je t'aime, mon amour !

Alors elle plisserait un peu les yeux, dans l’exacte maîtrise de ce qu'elle chercherait à produire, à m'envoyer comme ça dans l'estomac toute l’irrésistible lumière de son regard pourpre et, comme ils savent si bien le faire parfois dans les films, m’annoncer ainsi sans un mot de plus la fin des époques où l’on a mal au ventre.