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la SACEM,
Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique.
Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique.
ZEITGEIST
Merci de m’avoir donné la vue.
Et merci de m’avoir rendu
aveugle, pour que je voie mieux encore.
Chant guerrier. Echolab
– Higth Tone.
1/7ème – Les mots
Tu
as bientôt quarante ans. Tu fais le grand saut dans quelques mois.
Tu aimes les mots. Tu aimes les mots et la musique depuis toujours. Aussi loin que tu te souviennes, les deux sont indissociables dans le parcours qui te fait.
Tu ne peux pas situer exactement quand cela commence. Ni pourquoi. Cela commence, simplement. Et ne cessera jamais.
Tu aimes les mots. Tu aimes les mots et la musique depuis toujours. Aussi loin que tu te souviennes, les deux sont indissociables dans le parcours qui te fait.
Tu ne peux pas situer exactement quand cela commence. Ni pourquoi. Cela commence, simplement. Et ne cessera jamais.
Si
nous engageons par les mots, tu peux d’abord parler de toutes ces
bandes-dessinées. Tu adores inconditionnellement Cornelius et Blutch, les deux héros des Tuniques bleus. C’est dans les
petites bulles que l’on apprend à aimer les histoires.
Les
premiers livres, les premiers marqueurs, tu les lis avec passion, dans ta
chambre, à Kourou, dans la maison des Amaryllis. Tu entends l’Atlantique guyanais
respirer lorsque tu laisses la fenêtre ouverte. La clim fait le reste, le reste
du temps.
Que
ma joie demeure, de Jean Giono. Quelle était verte ma vallée, de Graham Greene.
Marcel Pagnol, bien sûr. Une saison blanche et sèche, d’André Brink. Puis des
livres plus ardus, assez vite, tirés de la bibliothèque de tes parents. L’un
d’entre eux, Cellule 2455, de Caryl Chessman, te marque plus que les autres.
La
vie d’un homme avant la mise à mort, dans le couloir du même nom. Un livre que tu
n’oublieras jamais. Il t’emmènera indéniablement vers la littérature américaine
contemporaine. Du maitre Léviathan, de Paul Auster, jusqu’à la poésie vitriol
de Charles Bukowski, dont tu penses avec sincérité lire jusqu’au dernier des mots.
Son ragoût du septuagénaire, les contes de sa folie ordinaire, ceux peut-être
qui te toucheront le plus. Tant de poésie pour un seul homme !
Bukowski
appellera John Fante, la sincérité de son chien stupide, le miracle désincarné de
Demande à la poussière. La Trilogie des Confins, de Cormac McCarthy.
Existe-t-il une plus belle littérature que celle-ci ? Tu collectionnes
aussi les auteurs. De lui, tu liras tout.
Revenons
à la littérature française, avec le Voyage au bout de la nuit, de Louis
Ferdinand Céline. Tu lis ce livre sur le tard. Tu écris depuis longtemps. Avant
de lire ce livre, tu ne sais pas qu’on peut faire ça avec les mots. Tu
l’ignores. C’est une claque monumentale dans ta vie de lecteur.
Tu
ne cesseras jamais de lire. Tu as récemment partagé, sur ton réseau social, une
très belle photo d’un livre empoussiéré, libéré par une paire de mains. Cela
disait : ouvre un livre, c’est lui qui t’ouvrira.
Tout
est dit. La voix interne est magique. Il faut la faire parler. Toujours.
Qu’en
est-il de l’écriture ?
Tu
peux avoir envie de parler de beaucoup de choses lorsque tu écris. Avant tout,
en toute logique, de ce qui t’a simplement touché, dans le bien comme dans le
mal, ou plus durablement réalisé, en prenant une part de toi que tu ne pourras
plus reconquérir, en te donnant un fragment d’un sacré dont tu n’imaginais même
pas qu’il puisse exister. Tu voudras parler de ce qui t’a blessé, détruit,
émerveillé, changé à tout jamais.
Cela
doit vouloir dire que vivre n’est pas une leçon facile. Qu’apprendre à accepter
ce que nous sommes n’a rien d’un exercice aisé, tous funambules, arpentant les
écumes sur les fils des vies que nous avons nous-mêmes façonnées.
L’écriture
débute vraiment en quatrième, avec madame Piétri, au collège de Kourou. Elle sème la première graine. Elle lit tes
rédactions à toute la classe, peut-être une fois sur deux. Elle aime tes
histoires. Elle les lit à tous les autres élèves. Tu es minuscule, complexé. Tu
portes des lunettes. Mais ta prof de français te lit. Tu as ça pour toi.
De
toute ta scolarité, personne ne te renverra jamais quelque chose d’aussi beau, y
compris durant tes six années universitaires. Les mots sont intimes. Ils sont le
profond de nous. Madame Piétri a peut-être deviné que tu aimeras raconter des
histoires.
Elle
te fait un merveilleux cadeau. Elle non plus, tu ne l’oublieras pas. Tu entendras
longtemps le son de sa voix, le ton qu’elle emploie lorsqu’elle te lit, la
chanson de son accent du sud qui perce de tes petits mots d’ado, l’air si épais
de vos classes équatoriales.
Tu
écris ton premier récit à vingt et ans, petit homme aux cheveux longs, qui raconte
ton premier chagrin d’amour, une peine méritée. Tu trahis un ami pour cette
fille, seulement quelques mois plus tôt.
Tu
t’emportes, te laisses séduire par un sourire d’ange, des atours physiques indéniables.
Une attirance réciproque immédiate nait,
à l’instant même où vous vous apercevez sur le quai de la gare d’Arcachon. Tu viens
en vacances en couple. Estelle repart avant toi.
Tu
penseras encore longtemps à cette trahison, ta seule à ce jour en amitié, et à
ce long coup de fil donné à l’homme que tu viens de trahir. Tu lui demanderas
pardon. Il aura tellement mal, qu’il lui faudra six longues années pour te
reparler.
Parmi
tous les mauvais choix que tu feras au cours de ta vie, il sera sans doute ton
seul vrai regret : sacrifier une vieille amitié pour une romance longue d’à
peine six mois.
Il
y a des filles comme ça. Elle te quitte par lettre, une dizaine de lignes, qui
arrive le jour même où elle doit te rejoindre, le temps d’un week-end. Fou
amoureux, tu découvres sans ne rien comprendre, sans ne pouvoir y croire, une
suite de mots annonçant la rupture. Elle te brise net. Ta mère va immédiatement
t’acheter une cartouche de Lucky Strike.
L’écriture
devient un exutoire, pendant plusieurs mois, presque tous les jours. Des
diatribes, des envolées lyriques. Les espoirs d’un jour, toujours rattrapés par
les obscurités, tes nuits devenues blanches, dans les incessantes fumées de
cigarettes.
L’été
1996 se profile, alors que la douleur a bien du mal à s’estomper. Mais c’est le
temps béni des vacances et du retour tant attendu chez toi, en Guyane. Tu pars
sans avoir totalement validé ta licence, qu’il faudra obtenir aux rattrapages
de septembre. Cela ne t’empêchera pas de faire beaucoup de conneries cet été
là.
Durant
ces deux mois, à Kourou, tu écris tes premières nouvelles, délaissant enfin les
peines trop répétitives du récit du petit homme aux cheveux longs. Ton père n’habite
plus les Amaryllis, mais au bord du lac, près du Glacier, à l’entrée de
Monnerville. Il y a une grande terrasse, de l’air, des moustiques. Tu aimes
bien. Mais ça pince furtivement le cœur, en l’évocation sous-jacente d’un
quelque chose de ton histoire qui ne reviendra plus.
Il
n’existe pas de recette toute faite lorsque l’on a mal au ventre. La rage se
transforme en excès, en ivresse. Tu fais la fête, rentres à pas d’heure, grisé,
la plupart du temps. Le matin, au lieu de réviser tes cours de biochimie, les
plus barbants que l’on puisse imaginer, tu regardes les JO de Marie-Jo et tu écris.
Dans la mollesse d’un été sans amour, tu fais naître Sam, un jeune paumé
héroïnomane, errant dans les rues.
Tu
écris aussi les trois dernières briques, une inversion des rôles : à
la fin de ses études, un fils abandonne sa famille. Il s’expatrie. Durant des
années, il ne se soucie plus guère des siens. Il ne revient qu’à l’heure où son
père s’en va. Sur son lit d’hôpital, ce dernier lui donne un héritage verbal si
fort, que le fils, suffocant, doit détourner les yeux. Il regarde sa mère et,
dans ses yeux à elle, voit finalement mourir le patriarche.
Lorsque
tu fais lire ce texte à ton père, il te regarde un peu bizarrement, puis lâche
d’une voix feutrée :
-
Il me plaît ton texte, même s’il est un peu étrange. Pourquoi voulais-tu que je
le lise ?
Tu
ne lui réponds pas. L’été s’écoule en pente douce. Tu obtiens ton permis de
conduire. Tu continues à faire la fête, à boire ; la bête ne se noie pas
si facilement. Le temps est compté, il est une douce accélération vers un
inévitable retour.
La
dernière soirée, Xavier et toi jouez jusque tard au foot américain, sur les
terrains de la Cocoteraie. Tu lui envoies des missiles ; les déracinés. L’Atlantique,
derrière toi, n’est plus qu’une aventure opaque, sans nom.
Tu
reviens à Limoges, alors que la ville est déjà engloutie par les pâles et grises
lueurs de septembre. Tu détestes les automnes métropolitains.
Ton
deuxième recueil, petits épisodes avec soi-même, voit le jour entre 1998 et
1999. Il matérialise la transition entre la vie universitaire, finalement si
parfaite, et le monde du travail, une énigme qu’il faudra bien résoudre. Il
deviendra aussi l’incarnation des choix amoureux que tu feras, dans tes
maladresses habituelles.
Beaucoup
de poésies, beaucoup de questions. Quelques bons textes. La chanson
silencieuse, ta première récurrence en écriture, prend vie au cours de ce deuxième
cheminement.
Tu
écris ton premier conte à la même époque, en narrant la rencontre fatale de
deux êtres d’exception : Nathan, un homme de bien, et Adréback, le dernier
des dragons. L’idée de ce récit est venue d’une citation de Borgès que tu aimes
beaucoup : il y a quelque chose de plus terrible et de plus merveilleux
que d’être dévoré par un dragon, c’est d’être un dragon. Il y a quelque chose
de plus étrange que d’être un dragon, c’est d’être un homme.
Lorsque
tu fais la lecture d’Adréback à Claire, la magnifique, ton récit est un peu
maladroit. Mais elle est touchée, et son sourire est merveilleux lorsqu’elle
t’embrasse.
Tes
choix, ton premier job, t’amènent à quitter Limoges au début du mois de juin 1999.
Tu laisses une ville que tu n’as pas aimée, ton père, revenu chez toi tenter
l’impossible, ta maman. Tout. Tu coupes tes cheveux, que tu as laissés pousser
pendant sept ans. Tu écriras une belle lettre bien stupide à Claire, pour lui
apprendre que votre histoire est terminée, elle aussi.
Le
13 septembre de la même année, tu t’installes à Toulouse, rue des Lois, avec
Mathilde, que tu viens de retrouver. Votre histoire ne marchera pas. Tu continues
à écrire, tes pensées, des nouvelles, des chroniques : attentat, ou
comment un état transitoire peut conduire au passage à l’acte terroriste, la
juste combinaison, cool police, Buko… Fragments et extraits de tes imperfections,
tu cherches en eux des réponses à des questions que tu ne parviens même pas à
formuler.
Puis
ta vie bascule.
Tu
vis, coup sur coup, les deux pires expériences de ton existence. En 2001, la
sclérose en plaques de ton frère est diagnostiquée. En 2002,…
Tu
écris à cette époque comme jamais, ta survie. Un livre surgit de ces
ténèbres : le Supplice de Dieu. Trois cents feuillets. Tu n’iras pas au
bout. Tu te perdras de bien d’autres manières.
Les
années noires prennent fin en 2006, avec ce premier voyage en Corse, début mai,
que tu entreprends en camion avec Much et Virginie. Le printemps resplendit et
ses lumières confèrent à Bonifacio des atours de grande dame.
Vous
devinez la Sardaigne en face de vous, depuis les forts et les canons. Instants
de grande amitié, de paysages farouches, tu découvres, sur les marchés fleuris,
le saucisson d’âne et l’amour des olives.
Tu
prends ensuite la route du Portugal, avec Denis et David, vivre avec eux le premier
trip surf de ta vie. Dix jours inoubliables, où vous découvrez la baie
d’Arrifana, un bon deux mètres ce jour-là, et puis enfin Beliche, la dernière
plage à l’extrême sud-ouest du continent européen, la plus belle vague que tu
n’aies jamais surfée.
Comme
une bonne surprise, vient enfin ce temps où tu ne cours plus après de vieilles
chimères. Tu retournes au Portugal dans les grandes chaleurs du mois d’août, avec
toute la bande des Psytawa, pour l’édition du Boom Festival, qui réunira plus
de 40 000 tranceux, venus de toute l’Europe, du monde entier.
Tu
rencontres Marjorie là-bas. A l’instant où elle pose la tête sur tes genoux, ton
cœur se met à battre la chamade. Ton cœur ne bat plus depuis quatre ans. Sophie
et Ivan sont en face de toi lorsque cela se produit. Tu devines, dans leurs
regards, la joie et la surprise qu’ils ressentent à te voir pareillement frémir.
C’est la première fois depuis qu’ils te connaissent.
Vous
vous aimez très vite, très fort. Vous vivez une vraie romance. Elle quitte tout
pour te rejoindre, un an plus tard. En te donnant des responsabilités d’adulte,
beaucoup d’amour, et puis enfin un fils, ce que tu as réalisé de mieux dans ta
vie, elle fait de toi un homme accompli. Tout n’est pas rose. Mais enfin. Le
ventre mou de l’âme s’est endormi. Les écrits s’estompent avec le temps.
Ton
père meurt le 27 mai 2010.
Le
30 juin 2011, alors que tu assistes à Paris, avec Alex, à la représentation inoubliable
de The Wall, jouée par un Roger Waters en très grande forme, ta mère effleure
la mort elle-aussi.
Tu
as vu la mort un an auparavant, en Guyane, dans la froide commissure ensanglantée
des lèvres de ton père, fermées à tout jamais. Tu la revois dans les yeux de ta
mère, une infinie terreur, ce premier juillet, lorsque tu la retrouves sur son
lit d’hôpital. Elle frôle les abimes. Elle ne s’y laisse pas tomber.
En
août, vous partez en Crète avec Marjorie et Ethan, qui galope déjà un peu
partout. Vous avez besoin de souffler. Vous passez une merveilleuse semaine de
vacances. La mer de Lybie scintille. Ethan
saute dans la piscine sans vous prévenir. Vous avez peur puis vous riez, avec
les autres vacanciers, des exploits du petit casse-cou. Tout est calme.
Tout
est calme, sauf en toi. Tu écris Matala. D’autres textes suivront bientôt, dont
Amaryllis, une évocation du Kourou de ton adolescence. Tu crées ton blog
d’écriture en septembre, une première, un cap à franchir : être lu.
La
bête s’est réveillée. Elle a repris vie, au fond de ton ventre. Il va falloir
la nourrir maintenant, l’alimenter, coûte que coûte.
En
quelques mois à peine, tu fais basculer ta propre vie une seconde fois. Tout ce
que tu as bâti durant dix ans, tout ce qui compte vraiment, tu le balayes. Tu
le balayes d’un simple revers de la main. Un oui, plutôt qu’un non.
Tu
as besoin d’une réponse.
Tu
l’obtiendras.
A
l’heure où tu écris ces lignes, le printemps 2013 s’est oublié dans les pluies
interminables. Ces dernières n’ont pas empêché l’éclaircie.
Tu
as compris que les incroyables dragons de la vie terrestre ne se domptent pas.
Tu as compris, sur la route de ton deuxième trip surf au Portugal, Mike à tes
côtés, qu’il ne sert plus à rien de les chevaucher.
Il
t’aura fallu presque quarante ans pour le reconnaître, mais tu le sais
maintenant. Le dragon, c’est toi.
Tu
as tant aimé au cours de ta vie. Tu t’es si souvent trompé, homme de bien. Tu écris
depuis tout ce temps, depuis ces premières fois, au collège de Kourou, dans les
classes de Madame Piétri, où, de tes simples mots, tu pouvais encore inventer dans
tes rêveries toute la suite de l’Histoire.
Tu
écris tous les jours aujourd’hui, le plus simplement du monde, simplement parce
que tu aimes ça.
Le
chemin au devant est une invention, où tout reste encore possible. Il suffit
d’ouvrir les yeux, de respirer l’air de la Terre, de ressentir que le monde
n’est pas seulement un sang qui hurle.
Enfin.
2/7ème
– La musique
..............
A paraître prochainement.