vendredi 15 décembre 2023

La Boucle

 



Voilà plus d'un an, je fis une grande découverte en lisant la préface d'Anna Karénine, le chef d'œuvre romanesque de Léon Tolstoï.

L'auteur de la préface, dont j'ai perdu le nom, expliquait que l'auteur avait écrit ce roman culte en à peine plus d'un été, ce qui est tout bonnement incroyable lorsque l'on sait que le livre dépasse allègrement les 1000 pages.

Ce qui est plus intéressant encore, c'est qu'on apprend que Tolstoï a mis plus de 4 ans à corriger son livre, 4 ans pour, comme il est écrit : refermer toutes les boucles.

Je tentais à cette époque de reprendre un projet important "Zeitgeist" dans lequel je pataugeais depuis des années et j'ai compris, en lisant cette préface, ce qui clochait avec mon livre : je voulais tout raconter et il m'était impossible de refermer toutes les boucles que j'avais ouvertes. 

Ce fut une véritable révélation ! J'ai d'abord tout remis dans l'ordre, puis j'ai posé deux bornes, qui m'ont permis de créer un espace maitrisable, une décade, une histoire, un fil rouge. Conséquence directe : j'ai dû retirer plus de 80 pages au projet que j'avais entamé bien des années plus tôt.

Je suis reparti de zéro, pour ainsi dire. Et j'ai poussé autant que j'ai pu pendant plusieurs mois, mais j'ai bloqué avant d'avoir achevé le livre 1, certainement parce que j'étais encore trop lié à l'histoire que je voulais raconter.

Je dois l'avouer : j'ai eu peur de ne jamais pouvoir finir un livre de ma vie mais, seulement quelques semaines plus tard, fort de ce que je venais d'apprendre, je me suis remis sur une fiction que j'avais entamée il y a de cela des années.

Et j'ai écrit le Dernier Amour en moins de six mois.
 
Ce livre arrive aujourd'hui à la fin d'un nouveau cycle : six mois de corrections intenses, de relectures, 10 cycles de révision complets, pour en faire une œuvre qui, je l'espère, saura trouver un éditeur.
 
Et, tandis que j'ai repris l'écriture de Zeitgeist avec la sensation d'avoir tellement appris depuis un an et d'avoir tellement à apprendre encore, je voudrais mille fois remercier Marina Brugerie, Ethan Brugerie Favennec, Isabelle Bercée Di-Puglia, Pascal Brugerie, Émilie Darrot, David Gouzes, Julien Homont, Yan Rymer et Dahlia Lindenberg pour le temps qu'ils m’ont accordé, leur appui, leur lecture, leurs précieux conseils et minutieuses corrections. 

Cette boucle est bouclée, une autre s'ouvre....



Illustration @Isabelle Bercée Di-Puglia 




jeudi 6 juillet 2023

Le Dernier Amour - Extrait





J’essaie de garder ma lucidité. Je ne crois pas qu’il soit vain d’imaginer que les progrès que nous parvenons à accomplir dans la vie, si infimes fussent-ils la plupart du temps, creusent les sillons de la singularité des destinées humaines. 

La Doctrine unique par laquelle chaque être vivant se détermine, comme nul autre avant lui et comme nul autre après son passage. 

Par le meurtre, je suis devenu l’homme que j’ai toujours été. Je n’ai pas de doute : je suis né criminel. Ce criminel que ma mère a reconnu avant tous les autres, dès mon adolescence et le remarquable épisode de la défiguration d’Antoine. 

Ce facteur X, s’il s’agit de cerner avec précision cet obscur déterminisme, me qualifie aujourd’hui plus que tous mes autres chromosomes. Ceux-là sont unanimement relégués en seconde division : le père, le frère, le mari, l’amant, le collègue. Ils ne sont plus que les faire-valoir d’un seul.

L’assassin, enfin, commande à tous les autres... 




Note de l'auteur : Le Dernier Amour est mon premier roman. Il est actuellement en quête d'un éditeur. Vous pouvez me contacter à l'adresse suivante : brugstouch@hotmail.com

jeudi 22 avril 2021

L'interaction majeure

 


Interconnectés. Interdépendants. Unanimement versés à ressentir le monde s’écouler à travers nous. Est-ce l’interaction qui nous définit ?

Sommes-nous les tiraillements et les adrénalines striées de nos émotions ?

Avoir en soi le don de ne rien commettre sans le cœur, les vrombissements qu’il procure lorsqu’il se connecte à lui-même, au vivant. Nous sommes les univers d’âmes éparpillées et languissantes des jours à venir, les jours heureux.

Sur les routes tracées de nos émois, nous naviguons. Nous sommes de fiers capitaines et de braves matelots, lancés dans une course aux airs de tempête. Il nous revient en fin de compte d’enlacer les feux qui bouillonnent.

Que dire d’aujourd’hui ? Où en sommes-nous ? Quelle est notre si étrange époque ? Avons-nous éclairé le chemin ? Allons-nous vers le mieux, un essor profitable à tous ?

Quelle juste critique formuler ? Ai-je pour ma part seulement réussi à progresser dans ma vie d’homme ?

La leçon n’a pas d’équivoque. Ni besoin de mots délivrer. Elle est partout où nous sommes, envahissant chaque recoin du monde. Sommes-nous en faillite ? Saurions-nous être différents ? Responsables, sans faux-semblants, sans autre sincère appétence que de servir le collectif, dans sa multitude, sa diversité, ses divergences.

Nous vivons l’époque centrale et ambiguë d’un bouleversement majeur. Dans l’hypothèse la plus probable, celui-ci sera écologique. Nous détruisons la biosphère et ses équilibres environnementaux. La chute ne sera qu’un mur aux multiples facettes, après les assèchements, les inondations, les pollutions, la déforestation massive, viendront les populations déplacées.

Les peuples feront naître l’ambition d’un changement profond de paradigme. Les régimes en place, tout-puissants, ne seront pas d’accord. Ils se durciront pour circonscrire toute envie de révolte. Ils déploieront leur nouvel ordre mondial, pour éviter d’être supplantés. Ils ne sauront envisager l’idée selon laquelle ils deviendraient de vulgaires programmes, dont les algorithmes ne conviendraient plus.

Quoi de pire que de deviner dans la fin de son règne, l’avènement d’un lignage que vous soumettez d’ordinaire par traditions ?

L’histoire est-elle déjà écrite ? Ne s’écrit-elle pas sous nos yeux ébahis ? Comment est-ce possible ?

Le temps façonne les hommes à leur image. D’un milieu à un autre, des marques différentes s’impriment. Les perceptions du monde divergent. Certains apprennent les rouages du pouvoir. D’autres, la grande majorité, n’ont le choix que de subir. La suprême engeance s’exerce depuis de trop longues époques. Elle s’amuse de la plaisanterie. Elle s’en félicite et s’en réjouit, élaborant à travers les âges le principe même du comique de répétitions.

Le processus demeure toujours le même. L’interaction elle, diffère. Dans ce cas, elle est si singulière, si spécifique, que nous n’en reconnaitrions aucun des codes. Nous resterions, pantois et désorientés, insensibles à ce langage, hermétiques à ces manières et ces convictions.

Les neurorécepteurs convoqués ne sont pas de la même nature. Ils se développent des privilèges d’une caste dominante, qui ne se lestera, sous aucun prétexte, d’une seule de ses attributions. Voilà : leur came est bien meilleure que la nôtre !

On voudrait leur chute. L’émergence d’un système qui n’écrase pas les faibles. On le rêve meilleur que nous ne sommes, raisonné, sage, solidaire.

Restons attentifs et généreux. Ne nous laissons pas glisser. Apprenons à mieux nous connaitre, afin d’accepter toutes les dimensions de l’autre. Battons-nous. Battons-nous de nos esprits virevoltants et de nos cœurs enflammés.

Privilégions les circuits courts, pour réduire l’empreinte abyssale de notre consommation. Développons une industrie verte, novatrice et porteuse de valeurs. Les équilibres doivent être protégés et, plus encore, rétablis. Le sens qui nous régit aujourd’hui est fallacieux. Le bon sens doit reprendre le droit de cité. Qui l’imposera ?

Ceux qui écrivent les lois aujourd’hui ? Pour qui les écrivent-ils ? Pour nous ?  

Ils feront de nos enfants des esclaves. Et leurs enfants après eux.

Nous en sommes là, en cet instant fatidique où le monde change sous nos yeux, dans une séquence surréaliste où nous nous voyons progressivement privés de lui. De ce qui crée et alimente une plus juste interaction, où le profit n’est pas dévastateur, mais vertueux et partagé.

Par où Commencer ? De quel effort parle-t-on ? Les forces en présence semblent à première vue inégales. Mais, avons-nous seulement conscience de celles que nous pourrions mobiliser, collectivement ? 

Cela fait beaucoup de questions. L’avenir nous parait peut-être plus incertain que jamais. On dirait même qu’il pourrait devenir hostile.

Alors, quel est le premier rempart ? 

Commençons peut-être par ne pas nous soumettre, ni au dogme de la pensée unique, ni à la peur insidieuse qui nous tétanise.

Sondons nos consciences : sommes-nous vraiment libres, aujourd’hui ? Choisissons-nous, en tant qu’individu, en tant que peuple et collectivité, l’interaction majeure, celle qui domine toutes les autres ?

Cette interaction nous appartient. Elle fait de nous des êtres humains éveillés, connectés les uns aux autres.

Notre devoir premier, toutes générations confondues, est de la reconquérir.

mercredi 17 juin 2020

ZEITGEST - A story of Beliche (extrait)



C’est ainsi que les infimes histoires se bâtissent. Ce sont les grands récits de nos vies anonymes. Ce sont ces instants qui façonnent notre traversée, ce que j’aime à nommer notre légende personnelle. En plaçant le regard dans un prisme en adéquation avec le bon état d’esprit, on peut déceler dans les petites quotidiennetés une part de magie, une part d’une autre vérité, là où niche un fragment du pourquoi de notre cheminement terrestre.

Je me retrouvai à Beliche en ce jour de mai 2013, le cinquième et avant dernier jour de notre trip avec Mike. J’avais atteint un état émotionnel rare, porté par la force et la grâce d’un choix décisif. Le choix de toute une vie. A ce moment précis, je venais de remonter au pic. La Weber me donnait pleine satisfaction. Plus courte, plus rapide, plus maniable, elle s’adaptait mieux aux courbes de Beliche, à ses creux et à mon état de forme. Cela faisait bien deux heures et demie que j’étais à l’eau. J’avais attrapé énormément de vagues. Mais ma soif de glisse n’était que peu entamée. J’étais serein, centré, détendu. Il suffisait d’ouvrir les yeux. La baie, les falaises, la couleur des rochers, l’onde en mouvance, si calme entre les séries, la lumière du jour descendant qui investissait chaque élément terrestre, chaque particule d’eau.

Et puis les hommes, autour de moi, tous mus par le même langage, la respiration de la glisse, l’union des éléments du monde. Des visages éclairés, des regards concentrés, parfois presque possédés, assiégés d’une énergie pure, souveraine. Ce n’était pas une apothéose. Juste le monde tel qu’il était, dénué d’artifice. Le monde tel que je le voyais et dans lequel j’aimais évoluer.

La série surgit du fond de la baie, des lignes impeccables, un peu plus hautes que les précédentes. Les trois premières vagues furent attrapées par d’autres surfeurs, mieux placés que moi. Mais la ronde au pic me plaça idéalement pour la quatrième. Je filai vers elle à toute vitesse, avant d’effectuer un cent-quatre-vingts degrés au dernier moment, lorsque le mur d’eau fut presque sur moi. Quelques coups de rame suffirent.  Le drop fut réussi et, après un bottom-turn effectué sur une trajectoire haute (toute première manœuvre consistant à s’orienter vers le côté ouvert de la vague), je pris rapidement de la vitesse, en effleurant de la main le vert de la paroi. La section ouvrit, tandis que la vague me dépassait largement en taille. Le bruit de la navigation était toujours aussi beau, un chuchotement musical enivrant, qui procurait à la glisse un plaisir proche de l’extase.

L’intuition naquit du ventre. J’entamai une dernière courbe, remontant sur le haut de la vague dans le but de gagner davantage de vitesse. La trajectoire, dans la descente, convenait parfaitement. La vague évoluait favorablement, creusant sans s’effondrer. J’étais idéalement placé à l’inside, dans le cœur de l’épaule.

Les rêves accompagnant un surfeur aussi irrégulier que moi ont le mérite d’être simples. Je compris, à cet instant, que le temps était venu. Je me baissai sur mes jambes. J’arrondis le dos, fixant toujours ce point inatteignable de la lame d’eau translucide, dans la certitude d’une quête sur le point de s’achever. J’allais obtenir tout ce que je recherchais depuis que j’avais repris le surf, treize années auparavant.   

Le tube se forma, concentrique, lumineux, profond. Je rentrai en lui, sans aucune difficulté. J’eus l’incroyable vision des rochers nappés d’algues fluorescentes de la falaise de Beliche, au bout du tunnel vert émeraude. Le souffle prodigieux du Monde m’aspira, avant de m’engloutir de toute sa liquidité. Cette éternité ne dura que quelques secondes. Le temps d’une vie.

Je me retrouvai à l’air libre, après avoir effleuré le sable au fond de l’eau, dans la lumière épurée d’un certain bout du monde, enfin atteint. A cet instant, tout ce qui dans ma vie m’avait blessé, torturé, tourmenté, sali, corrompu, amoindri, n’existait plus. La laideur, la vilenie, la rancœur, le regret, la colère, la tristesse, le ressentiment, tout cela, tout cela sans exception, venait de disparaître.

Je ne pus que deviner, sans aucune certitude, ce que prendre un tube parfait pouvait représenter pour les autres surfeurs. Durant ce bref intermède, où la sensation investissait chaque part de mon être, je sus pourtant exactement pourquoi je venais de faire plus de 1500 kilomètres pour retrouver Beliche. Au-delà du raisonnable, des allures et apprêtements parfois trop faciles, des effets de style superflus, au-delà d’une industrie mondiale en plein essor, demeurait le regard joyeux de ce gosse, deux jours plus tôt, lorsque nous étions seuls à l’eau, à partager et nous amuser de vagues minuscules.

Au-delà de tous les mots, il existait, à l‘extrême sud-ouest du continent européen, dominée par une falaise majestueuse, une plage d’Algarve nommée Beliche. Sa vague, venue des grandes houles lointaines de l’Atlantique, venait de m’offrir, dans une fraction d’éternité, la plus authentique rédemption de mon existence.

dimanche 12 avril 2020

La Tentation d'Eclore





S’il fallait réinventer ce monde, par quoi commenceriez-vous ? 

Ne s’agirait-il que de quelques ajustements, où la course folle que nous alimentons par milliards se verrait contrainte dans son expression gargantuesque ? Serait-ce un âge où ce que l’on entend des menaces qui planent sur nos modes de vie déchaînés, prendrait une forme plus tangible ? En-serions-nous à admettre que la saison est venue, où faire marche arrière devient la meilleure option pour avancer ? 

Je ne sais en vérité rien des grandes théories et des complots sous-jacents. J’ai vécu ma vie, guidé par l’amour, la passion du progrès, la recherche de l’adrénaline, le refus de l’affaissement, innervé aussi de ce quelque chose insaisissable, titanesque, ce vent entre les êtres, qui devient la tempête des âmes laissées seules face à elles-mêmes, lorsqu’elles contemplent leur insondable reflet lézardé. 

Je n’ai pas les mots pour parler avec justesse d’un événement qui touche des milliards d’êtres humains. Je ne suis pas taillé pour cela. Je donne le change, lorsqu’il s’agit d’évoquer les intuitions silencieuses du ventre, et les poèmes inspirés par le vacillement du cœur. 

Où gît la poésie dans un épisode comme celui-ci ? Peut-être n’a-t-elle plus sa place ici-bas ? Ou peut-être incarne t’elle le dernier rempart, face à l’implacabilité des chiffres et des courbes exponentielles ? 

La grande saison des prêches nous guette. Ils clameront avec ardeur que tout cela était inévitable. Il parait que l’homme est capable de changer lorsqu’il a peur. Aurons-nous assez peur, cette fois ? Que voudrons-nous pour demain ? Que saurons-nous capables d’exiger de nous-mêmes ?  Qui saura répondre à ces immenses enjeux, individuels, collectifs, sociétaux, économiques, écologiques, politiques ?

Et puis enfin, que valent nos élites ? Sont-elles ce que vous voudriez qu’elles soient ? Devons-nous encore leur donner notre assentiment ?

Combien, dans un parcours terrestre, sont nombreux les retournements, les péripéties, les détours inattendus, les espérances bafouées. Nous les nommons les choses de la vie. Elles nous font traverser le Temps à pleine vitesse. Elles exigent parfois tant de ressources morales, de résilience, de courage, d’humilité. Devrions-nous nous en plaindre ? L’étincelle de vie qui nous alimente ne mérite-t-elle pas les apprentissages, et les tourments qui disparaissent en un seul souffle, lorsque le Beau nous surprend et nous emporte avec Lui ?

Je veux poursuivre mes rêves jusqu’au dernier souffle, sans ignorer pourtant le Monde qui s’effondre sous mes yeux, de toutes ces calamités dont nous l’affligeons. Croire en demain, c’est encore se fier à l’amour, aux grands desseins, aux méritants, aux vieilles amitiés, à la filiation, à la fratrie, aux idées neuves, aux plaisirs simples, à l’érotisme.

Il suffit d’allumer la télé : l’histoire qui nous est contée n’est pas de cette veine. Certains songes antiques sont inéluctablement voués à disparaître des écrans de nos mémoires. Tout le pouvoir de la Bande Passante réside dans le simple fait d’Etre ce qu’elle est : une énormité, une disproportion, une détonation universelle, qui inonde notre conscience et submerge notre perception. 

Jusqu’à hier, on ne distinguait plus les signaux faibles des signaux forts. On les entendait, les énumérait, les ingurgitait. On les voyait seulement menacer le seuil de nos portes inviolables, nos certitudes, tels de vulgaires verrues informatives dissonantes. Nous frémissions peut-être. Mais le constat est là : nous ne bougions pas. Le mal allait passer. Il s’en irait, lui, après tous les autres, tandis que nous panserions avec docilité nos quelques plaies superficielles ; de pleutres hématomes bleuis, enveloppés délicatement dans de la fine Presse. 

Il nous arrivait même de nous mettre d’accord et de partager ces constats. De grandes instances se réunissaient chaque année pour convenir à l’unisson d’un état d’alerte évident, plastronnant à l’effigie des grandes Nations de ce monde des indicateurs de réduction des émissions carbone. Oui, nous prenions lentement conscience qu’il faudrait peut-être décroître ou s’inventer un nouvel essor, centré sur la ressource et non sur le profit, pour offrir à la Terre et à nos enfants un avenir pérenne et décent.

Il faudrait éradiquer le plastique, nettoyer les océans, dépolluer les rivières, les cours d’eau, les nappes phréatiques, rendre aux humus et aux argiles leur essence originelle, sans pesticides, phosphates, ni PCB.

Rappelez-vous. L’actualité était toute autre voilà quelques semaines : les forêts du monde brûlaient. Des continents entiers prenaient feu et partaient en fumées. Les flammes de l’enfer, en direct à la télévision. Qu’allions-nous changer ? La déforestation à grande échelle se poursuivait sans faillir, tandis que l’on arasait inlassablement nos sols, que l’on triturait nos terreaux en les gavant de mercure, pour en extraire or, métaux précieux et diamants. Allions-nous pour autant appuyer sur le bouton « stop » ?

Dans un cycle où la modernité ne s’incarne plus dans le progrès, mais dans l’agitation frénétique et la chute des équilibres naturels fondamentaux, la dictature imaginée par Orwell a poursuivi, quant à elle, imperturbable, sa mise en place progressive.

La liste est interminable : élections de jeunes rois factices et fallacieux où l’on élit par carence, à défaut de voter par conviction, matraquage des jeunes générations et des services publics, tous deux sacrifiés sur l’hôtel hideux de la Nouvelle République, la Haute Rentabilité, où le dividende versé vaut plus qu’un être humain.

Mais enfin, avez-vous cure des dérives institutionnelles, qu’on institutionnalise à perpétuité ?  Faut-il paupériser davantage ? Devons-nous élever plus encore la conscience humaine, de ces décrets liberticides édictés pour nous faire mieux vivre ? 

Je n’écris pas un seul mot neuf. Je ne fais pas sauter la banque. Voilà, je suis comme nous tous, pris dans un épisode inestimable et bancal, où nous disposerions d’un temps nécessaire pour nous pencher un peu sur nous-mêmes et nous interroger sur notre nature profonde.

En sommes-nous là, en ce moment fatidique, où l’humanité devra décider de la manière dont elle voudra vivre ou disparaître ?

Au-delà des erreurs systémiques et des trop nombreuses insuffisances gouvernementales, une certitude émerge : les jours viendront où les contraintes actuelles disparaîtront. Nous retrouverons nos amis, nos collègues, nos chéries, nos amants, et ce si merveilleux terrain de jeux qu’est notre planète Terre.

Assurément, je reprendrai la voiture. J’aurai certainement la sensation de revivre, dévorant vers de nouveaux horizons, un asphalte vierge. Les sillons du ciel seront les Lignes écartelées d’un champ des possibles inédit.

Il faudra ralentir un peu et se souvenir de ces choses-là. De toutes ces choses qu’on oublie si vite, lorsqu’elles ont fini de nous malmener. Il faudra se souvenir de ce que nous sommes en train de vivre. Et se demander ce que nous pouvons entreprendre pour que cela n’arrive plus jamais.

Mon esprit est un peu brouillé. Je ne sais pas vraiment par quel bout le prendre. J’ai envie d’y croire. C’est ma nature. Je ne me force pas pour cela. Mais il va falloir se forcer à quelque chose de plus. Tous, et ensemble. Comme la voix du nouveau Monde que nous voulons bâtir et léguer à nos enfants. On le leur doit. C’est le devoir de nos générations réunies. Nous sommes les années 60, les années 70, les années 80, 90 et 2000. Nos plus jeunes enfants n’ont pas dix ans.

Le mien aura onze ans en juin. Il est né juste avant l’été, à l’aube, lorsque le monde encore endormi respire sereinement de son prochain éveil. C’est un gentil gosse, facile à vivre. Certaines de ses mèches blondes sont si claires, qu’elles ensorcellent les jolies coiffeuses. Il aime le foot, l’équipe de France, et l’OM. On est allés plusieurs fois au Vélodrome, avant que les terrains ne se vident et que les tribunes ne deviennent silencieuses. Pour me faire plaisir, il me dit que Metallica est son groupe préféré. Mais il écoute avec son demi-frère des artistes dont j’ignore même l’existence.

Que puis-je faire pour lui ? Dès aujourd’hui ? Et demain ? Ne sommes-nous pas face à l’obligation de répondre à cette question ? Quelques soient les mot choisis et les raisons invoquées, cette charade trouve son énergie dans une dimension humaine viscérale, là où gît notre nature, et où s’incarnera vraisemblablement notre devenir.

Puisque les virus sont mortels, changeons. Devenons des fragments terrestres. Laissons-nous aller à la tentation d’éclore. 


lundi 23 mars 2020

Le Suspense du Beau




Depuis ces temps maintenant assez anciens où je fus pris du virus de l’écriture, il est des thèmes devenus des récurrences. Ces fidèles compagnons vous suivent dans les bruits de vos longues nuits de voyage, là où la musique et les essoufflements finissent par se confondre et devenir une part de vous. 
Je citerai trois de ces idées directrices. La Chanson Silencieuse. La Ligne. Le Suspens du Beau. 

La Chanson Silencieuse, c’est la voix à l’intérieur de vous, celle qui vous accompagne tout au long de votre vie, si vous prenez soin de l’écouter. Elle est votre guide, votre inspiration, votre rempart à la perdition, lorsque tout vacille et s’effondre. D’une certaine manière, votre légende personnelle. 

La Ligne, c’est votre rapport au Monde, votre lien à l’Océan. Ce sont les houles Atlantiques, qui mobilisent votre imaginaire et développent votre caractère. Ce sont ces rêves que vous n’avez pas encore tout à fait formulés et qui pourtant animent le plus profond de votre être. La Ligne, ou écarteler les paysages, dépasser ses propres limites. Aller au delà. 

Le Suspens du Beau, c’est Toi. 
C’est ce paysage à couper le souffle, un truc mastoc à ce point-là que vous ratez presque toutes les photos que vous tentez de prendre (celle-ci est la seule acceptable). Votre trouble naît d’une exception, où la beauté du Monde fait exactement écho à cette chose en train d’éclore au fond de votre ventre. 
A ce moment précis, rien n’est fait, rien n’est encore décidé. Pourtant, vous ressentez un champ des possibles inédit, une dimension supérieure qui s’ouvre, du simple fait de l’interaction qui vient de naître entre deux êtres humains. 
Ici, où s’incarne le règne éternel de Saint-François d’Assise, sur les eaux bleues de la Ligurie, tu es partout, sans être là. Tu me rejoindras peut-être. Ou tu ne me rejoindras pas. 

En cet instant du Suspense du Beau, où tout se concentre et déjà s’écrit…

mardi 10 mars 2020

La Bonne Etoile de Portofino




Soyons clairs. Il y a les menaces de pandémie et les mesures de confinement. Ces aléas donnent forcément une perspective différente à ce roadtrip italien. Il y a aussi tous ceux qui prennent de vos nouvelles plus souvent qu'à l'accoutumée et ce mauvais réflexe aussi, de surveiller d'un peu plus près le moindre indice corporel divergeant : j'ai toussé une fois aujourd'hui ; c'est la merde putain j'vais crever !! 
Mais la magie persiste partout où l'on veut la laisser vivre. Ce soir-là, Ethan et moi étions arrivés après tous les autres à Portofino. Il ne semblait plus rester que des êtres égarés, ou plus sûrement, ces amoureux qui se fichent éperdument des jours qui s'envolent et des nuits qui aplanissent l'horizon. 
On emprunta les chemins de pierres et les grands escaliers. On regarda la Méditerranée s'embraser de ce soleil qui fondait en elle. 
Revenus au petit port, notre préférence alla à un restaurant bar joliment décoré, d'où fusait une mélodie vintage prometteuse. On commanda au vieux barman du jambon cru hors de prix. Je me fis servir un verre de vin rouge italien, si bon, si aromatique, que j'en commandai bientôt un deuxième. Ce faisant, je demandai au vieil homme d'où venait ce savoureux nectar. 
- Sud Italia, Puglia ! me-répondit-il prestement. 
Je fus pris d'un très léger vertige, et, je l'avoue, d'une fierté assez considérable. Je lui répondis que ma mère s'appelait Theresa Di Puglia, et qu'une part de moi avait pris racine dans le vin qu'il venait de me servir. 
Il se figea et me regarda d'un nouvel œil, avec chaleur. Il énonça ces quelques mots, très lentement : 
- Si, Theresa Di Puglia, in-cre-di-bi-le !!!
Il s'éloigna, tandis que je sentis un peu du cœur de ma mère rebattre en moi. Son amour de Madone se mit à chanter partout dans mes veines. Je regardai mon fils longuement. Il souriait, fier lui aussi de pouvoir participer à la Belle Histoire : 
- Ben moi j'ai quand même un quart de mon sang qu'est italien ! 
Oui, mon fils, de tous les battements de ton cœur pur, certains sont la vigne, le soleil et les eaux turquoises des Pouilles ! Di Puglia, les prochains voyages, les grandes inspirations et le pourquoi des roadtrip...

samedi 17 août 2019

1 - La Fidélité




Mardi 16 juillet – vendredi 16 août 2019 (Strasbourg, Lyon, Toulouse, Soulac/mer)

Depuis si longtemps la poésie s’est échappée de moi.

Je commençai par ces mêmes mots le dernier texte que j’ai publié sur ce blog. C’était en mars 2018, autant dire une petite éternité. Je me permets aujourd’hui la redite. L’auto plagia me sera pardonné sans mal. Car il est un fait indéniable : j’ai si peu écrit cette dernière année et demie. Et, bien que le célibat, l’été, les grandes aspirations, revigorent un tant soit peu la plume, force est de constater que mon bilan littéraire des cinq dernières saisons est famélique.

Je ne maugrée pas. Je ne m’incline pas non plus. Les intentions de l’esprit demeurent les mêmes. Seules sa discipline intrinsèque et sa rigueur semblent s’être amoindries.

J’étais en Amazonie, en cette veille de printemps 2018. Je bivouaquais sur les rives du fleuve qui a donné son nom à Kourou, la ville de mon adolescence, celle qui m’a fait. Je revivais une fois de plus le miracle guyanais, cette occurrence interne soudaine et intense, qui sait si bien vous remettre les idées en place. Cette interaction singulière ne s’est jamais lassée de moi. Une chance inouïe que de pouvoir compter parmi les siens un ami aussi fidèle, aussi peu disposé à vous servir le refrain piégeur dans lequel vous vous êtes embourbé. Le voilà qui réapparait à chaque fois que j’ai besoin de lui ; à chaque fois que je me donne les moyens de renaître à ce que je fus.

Ici, est le point de départ : j’ai été et je ne suis plus. Les mots sont de Romain Gary. Il ne les a pas écrits exactement comme cela. Nous nous situons à la fin des années cinquante. Il est finalement devenu l’homme époustouflant que sa mère voulût qu’il soit : héros de guerre, diplomate, écrivain renommé déjà primé par le prestigieux Goncourt (Les Racines du ciel, 1956). Il écrit un nouveau livre, la promesse de l’aube, qui paraîtra quelques mois plus tard, en 1960. Il raconte son enfance, son adolescence, sa naissance à l’écriture, son entrée dans la vie adulte, depuis la glaciale Pologne jusqu’aux ciels embrasés de la seconde guerre mondiale, où il officia en tant qu’aviateur. Il y dévoile surtout le lien si particulier et si fort qui l’unissait à sa mère. 

La récente adaptation cinématographique de ce livre est réussie. Charlotte Gainsbourg épouse admirablement le rôle de cette maman hors du commun, dotée d’une foi si inébranlable qu’elle forgera le destin de son unique enfant. La passion qui l’anime et l’alimente au jour le jour est de celle qui se raconte dans les livres. Sa foi fait d’elle une visionnaire. Elle désire tellement la gloire de son fils, que l’idée de celle-ci inspire chaque grande décision de sa vie et, plus rigoureusement encore, chaque geste de son quotidien. Le jeune Romain, émigré russe, grandit sans père, dans l’exhortation stimulante de ce destin hors du commun qu’il devra coûte que coûte faire éclore, mais aussi sous le joug fantasque et quelque peu autoritaire de la matriarche.

Gary est âge de 44 ans lorsqu’il écrit ces mots. Il a compris que le déclin est inexorable. Il s’entretient régulièrement et on pourrait acquiescer au fait qu’il œuvre de son mieux pour ralentir la course descendante. Je ne suis qu’un lecteur, traversant les temps et les époques d’un livre achevé voilà six décennies. Mais une proximité existe. Comme si l’auteur me soufflait quelques vérités sur les énigmes que je m’évertue à ne pas résoudre.  Il me semble deviner, entre les mots d’un récit parfaitement maîtrisé, les traces d’une âme devenue sage, d’une âme par-dessous tout emplie d’une immense compassion pour le genre humain.

Me voilà en face du miroir. Un simple numéro 4 sur l’échelle des âmes fécondes ; une si mauvaise élève, si peu décidée à retirer les leçons des années qui passent et s’évaporent. Tout est dopamine, Monseigneur de la Sainte-baise Patrie ! Faudra-t-il tout posséder pour ne rien perdre et puis enfin tout perdre pour comprendre que posséder n’existe pas ?

Qu’as-tu perdu, toi, le baltringue ?

La révolte ? Plus certainement, les mauvaises colères des jeunes années. Le sang contaminé des grands rêves alors ? Les peaux ne s’effleurent plus ; elles crépitent. Mais le rêve existe encore.

Le second cœur est avant tout une histoire d’âme. Celle qui s’envole des si frêles histoires humaines. Celle, époustouflée, qui se tend et lézarde nos amours insondables. Vous les regardez, ces gens-là et vous ne les comprenez plus tout à fait. Le frisson remonte le long de votre moelle épinière et va toucher la petite glande enfouie tout au fond de votre cerveau.

Le vertige vous prend. Vous savez sa férocité.

Implacable, vous lui résistez. Le second cœur vous a appris qu’il ne fallait gaspiller, ni le muscle originel, ni le cœur de ceux que vous aimez. La formule, tout le monde la connaît : il n’y a pas de regret à avoir.

La mémoire parfois s’emballe. Elle cogne à l’intérieur de vous comme un univers fougueux, qui voudrait s’échapper et s’étendre. Vous regardez droit dans les yeux ce qui de vous s’est éteint. Et vous ne tremblez pas.

Les mots viennent comme des flèches. Ils sont les messagers d’une chanson que vous connaissez par cœur. Vous avez enrichi la mélodie de cette vieille rengaine ; trois nouveaux accords, septièmes ciels augmentés, derniers éloges taris, feuille de route remisée.

Ça sonne comme du rock sale, un air dédié aux saltimbanques. Les sons empruntés d’une divine vérité qui toujours se dérobera. On voudrait l’encourager ce petit punk des grandes Tours et des belles Cités. On voudrait qu’il chante comme un va-t’en guerre, sans avoir peur de perdre haleine.

On lui dirait que l’essentiel requiert une conviction plus forte. Aligner quelques riffs, c’est bien. Mais cela ne suffit pas. On chuchoterait à son oreille que sa sincérité est le paradigme qui le fonde. Être sincère, encore, pour toujours, quitte à s’arracher les amygdales lorsque la cloche sonnera la fin de la récré.

Ça le ferait respirer comme l’homme qu’il est. Nul besoin de déchirer les horizons nouveaux. Ils sont là, à portée de main. Il suffira de tendre son foutu cœur.

On s’arrête une seconde. On écoute au fond de soi.

Il n’est guère utile de se perdre en conjectures ou de s’avilir aux longs plaidoyers. La formule est mal fichue depuis sa genèse. Et, là où me placent aujourd’hui les quarante-cinq années qui viennent de s’écouler, il deviendrait presque inconvenant de ne pas l’admettre.

Pour autant, le fait que l’algorithme originel soit biscornu n’a pas plus de valeur qu’une simple vérité, que l’on assénera tel un postulat. Ce dernier nous apprend quelque chose, oui, certes, mais sans ne rien révéler de tout à fait fondamental. Son incontestabilité ne fait même aucune différence.

Tout se joue ailleurs, en ce lieu-dit de l’âme que l’on tient pour incompressible, à la manière de ce Kourou sauvage des années 80, qui me fit puis me brisa en deux lorsque je fus obligé de le quitter. Oui, tout ce qui rend le champ des possibles encore aussi vaste qu’un univers, c’est cette fidélité-là. La très longue fidélité que tu lui voues, à ta folle batterie. Envers et contre tout, toutes les erreurs, les cris d’alarme, les mots prononcés trop vite, ceux qui ne devraient jamais rester au fond de la gorge.

Reprenons.

Respirer comme un homme. Ne plus jamais trembler. Ne pas se morfondre, quand on n’a même pas de quoi s’apitoyer. Ne jamais ignorer la leçon des hommes de bien : si tu t’égares, te perds et gesticules, chaque jour, tu continues pourtant de faire les gestes qu’il faut.

Tu garderas grands ouverts les pores de ta peau, et tu vibreras de cette conviction aussi imméritée qu’insoumise : être encore capable de s’ouvrir au monde et à ses merveilles, sans ne jamais méconnaître les lames sans fin de ses détestations.

Il semblerait bien que tu n’aies pas encore renoncé à la chanson silencieuse.

L’âme ne vieillit pas. Au pire, elle s’abîme. Au mieux…

Il faudra poser la question à Gary !

mercredi 21 mars 2018

Ici


Dimanche 4 mars 2018. Sur le Kourou.  

Depuis si longtemps la poésie s’est échappée de moi.

Ici, l’idée résiste. Un autre potentiel s’exprime. Les mêmes mots reviendraient presque à chaque fois. Est-ce l’expression d’une identité qui se réaffirme, se retrouve, pour convoler avec ses propres éléments constitutifs ?

Ici, pas de mauvaise surprise. Jamais. Pas de sentiment inopportun. S’impose avec douceur la sensation d’exister au sein d’une histoire qui ne cessera qu’au dernier souffle. 

C’est ainsi.

Depuis ces huit années écoulées, depuis cette dernière fois à Kourou, où nous avions avec mon frère enterré notre père, j’ai grandi, appris, vieilli, réussi, perdu, connu des échecs. Je suis devenu orphelin. Au détour d’un chemin de traverse, périlleux, nécessaire, erroné, j’ai même failli perdre la raison.

Les vérités s’instruisent de l’expérimentation. Qu’importe la laideur, bien qu’il soit préférable de tutoyer la beauté. Si souvent nous pensons à juste titre. Dans la seule confirmation de notre insuffisance, d’un bien appris des seules forces qui, intrinsèquement, finissent toujours par nous échapper.

Ici, il semble plus naturel d’écouter la chanson silencieuse. Elle est un refrain dans mes veines, la pulsation fine et apaisée d’un cœur qui bat encore. Ici, en cette douce et sauvage Amazonie, les cent milles rayures de mon être inscrivent sur les marbres d’une époque intemporelle, une sous-jacente idée qui vise juste.

Tu n’es pas la voiture que tu conduis. Tu n’es pas la note de ta performance annuelle. Tu n’es pas celui qui de toi dit seulement ce qu’il envisage.

S’il est certain que l’abîme appelle l’abîme, de grandes choses naissent parfois de rien. Le renouvellement consiste à se retrouver dans des gestes simples, faisant appel aux rythmes premiers de notre corpus originel.

Autour de moi figurent de nouveaux visages, parmi ceux que je connais depuis plus de trois décades. La forêt est toujours là. Elle nous enveloppe lestement. Le fleuve coule sans bruit, juste à côté de nous. Les grandes averses ont fouetté les obscurités de la nuit guyanaise.

On entend en arrière-plan les lignes de basse d’une musique rythmée. Elles grondent à travers les grands arbres, dans un carbet invisible, situé non loin de nous. De nombreuses familles s’y sont depuis hier rassemblées, dans l’incessant ballet d’une coque alu qui assurait avec grand bruit le transport des convives. On pensait qu’ils allaient faire la fête toute la nuit. On ne les a qu’à peine entendus.  

Le réveil a quand même été un peu difficile. L’un de notre tribu s’est chargé du boucan, dans un ronflement tout droit sorti d’un film d’épouvante post-apocalyptique. Nombreux ce matin sont ceux aux yeux rougis, d’avoir trop peu dormi. Jean-Charles a lancé plusieurs tournées de café. Il nous fallait bien ça.

Peu après le petit-déjeuner, je me suis mis à écrire. Donovan est venu griffonner quelques mots sur les pages de ce carnet. Il a aimé que je lui prête le Nikon. Il a pris du plaisir à faire des photos. J’aime bien ce gosse. Son père est mon ami depuis plus de vingt-cinq ans.

Je regarde alentour. La lumière du jour change. Elle s’épure des particules fines laissées en suspension par les pluies diluviennes. Le soleil va gagner la partie. Sa victoire annoncera l’avènement du petit été de mars.  

Tout à l’heure, on ira en canoé se promener sur le fleuve. On visitera les carbets abandonnés. Jean-Charles me montrera jusqu’où les eaux sont montées lors de la dernière crue. Il n’y aura pas d’autre urgence. Les calomnies du monde se seront dissipées.

J’aurai la peau trop blanche des métros, et un peu de ce gras du bide des hommes d’affaires de la Défense. Je penserai à mon fils et à ma chérie, qui seront du prochain voyage.

Je serai Ici, chez moi.

mardi 20 mars 2018

No Smoking Area




Cela prend forme immédiatement, l’une de ces discussions que tu ne peux tenir qu’avec de rares personnes. La connivence intellectuelle veut ça, certaines similitudes dans le vécu de chacun, des points d’entrées névralgiques.

On se fie à l’intuition, à l’écoute, à l’urgence. Le type te fait face ; il t’interpelle, entre les deux lattes puantes de sa cigarette roulée :

-          Essaie de penser à la raison pour laquelle tu n’écris plus…

Il marque une longue pause, avant d’asséner :

-           Est-ce comme cela que tu t’aimes le plus ?

Il semblerait qu’il cherche à ouvrir une seconde scène, une place secrète nichée en arrière du premier plan, dans ses propres vestiges.

-          Discernes-tu la raison, ou vois-tu seulement le résultat ?

Tu n’as pas envie de répondre. Tu as peut-être seulement besoin d’être secouru. Tu tentes d’esquiver :

-          Dans certains cycles de ma vie, les mots que je parviens à jeter sur le papier sont très fidèles à ceux de mon âme. Dans les autres temps, ceux où cette fidélité n’est plus de mise, une évidence… J’ai moins envie.

Le mec te regarde encore. Il insiste. Il t’inspire confiance. Vous auriez pu devenir amis.

-          Tu sais, dit-il, on passe sa vie à apprendre, avant de désapprendre, dans la foulée de tout ce qu’on a appris. C’est ça le seul cycle qui vaille, mec, le moyen le plus sûr dont on dispose pour continuer, quelque soit l’ampleur de nos erreurs, dans la fallacieuse idée qui voudrait que nos chances demeurent toujours égales.

La musique crépite lancinement une techno trance d’arrière-garde. Tu lui réponds que le second cœur est avant tout un cœur qui s’est trompé. C’est un alibi, lui dis-tu, il ne faut jamais l’oublier.

-          Le sophisme est pour certains un art de vivre, sûrement pas la méthode la fiable pour me convaincre. Les mots peuvent ne pas suffire.

Il sourit. Il marque un temps, dans le silence de l’alcôve. On dirait qu’il a l’impression d’avoir gagné quelque chose. Il te sert un verre de vin blanc.
-          T’as pas une clope, mec ? Te-demande-t-il enfin, d’un air narquois, en crachant vers toi la fumée jaune de son mégot qui crépite.

-          Non, lui réponds-tu. Mais j’ai du feu, Ducon !