Mardi 16 juillet – vendredi 16 août 2019 (Strasbourg, Lyon,
Toulouse, Soulac/mer)
Depuis si longtemps la poésie s’est
échappée de moi.
Je commençai par ces mêmes mots le
dernier texte que j’ai publié sur ce blog. C’était en mars 2018, autant dire une
petite éternité. Je me permets aujourd’hui la redite. L’auto plagia me sera
pardonné sans mal. Car il est un fait indéniable : j’ai si peu écrit cette
dernière année et demie. Et, bien que le célibat, l’été, les grandes
aspirations, revigorent un tant soit peu la plume, force est de constater que
mon bilan littéraire des cinq dernières saisons est famélique.
Je ne maugrée pas. Je ne m’incline pas
non plus. Les intentions de l’esprit demeurent les mêmes. Seules sa discipline
intrinsèque et sa rigueur semblent s’être amoindries.
J’étais en Amazonie, en cette veille
de printemps 2018. Je bivouaquais sur les rives du fleuve qui a donné son nom à
Kourou, la ville de mon adolescence, celle qui m’a fait. Je revivais une fois de
plus le miracle guyanais, cette occurrence interne soudaine et intense, qui sait
si bien vous remettre les idées en place. Cette interaction singulière ne s’est
jamais lassée de moi. Une chance inouïe que de pouvoir compter parmi les siens un
ami aussi fidèle, aussi peu disposé à vous servir le refrain piégeur dans
lequel vous vous êtes embourbé. Le voilà qui réapparait à chaque fois que j’ai
besoin de lui ; à chaque fois que je me donne les moyens de renaître à ce
que je fus.
Ici, est le point de départ : j’ai
été et je ne suis plus. Les mots sont de Romain Gary. Il ne les a pas écrits
exactement comme cela. Nous nous situons à la fin des années cinquante. Il est finalement
devenu l’homme époustouflant que sa mère voulût qu’il soit : héros de
guerre, diplomate, écrivain renommé déjà primé par le prestigieux Goncourt (Les
Racines du ciel, 1956). Il écrit un nouveau livre, la promesse de l’aube, qui paraîtra quelques mois plus tard, en 1960. Il raconte son enfance, son adolescence, sa
naissance à l’écriture, son entrée dans la vie adulte, depuis la glaciale
Pologne jusqu’aux ciels embrasés de la seconde guerre mondiale, où il officia
en tant qu’aviateur. Il y dévoile surtout le lien si particulier et si fort qui
l’unissait à sa mère.
La récente adaptation
cinématographique de ce livre est réussie. Charlotte Gainsbourg épouse
admirablement le rôle de cette maman hors du commun, dotée d’une foi si inébranlable
qu’elle forgera le destin de son unique enfant. La passion qui l’anime et l’alimente
au jour le jour est de celle qui se raconte dans les livres. Sa foi fait d’elle
une visionnaire. Elle désire tellement la gloire de son fils, que l’idée de
celle-ci inspire chaque grande décision de sa vie et, plus rigoureusement
encore, chaque geste de son quotidien. Le jeune Romain, émigré russe, grandit sans
père, dans l’exhortation stimulante de ce destin hors du commun qu’il devra coûte
que coûte faire éclore, mais aussi sous le joug fantasque et quelque peu autoritaire
de la matriarche.
Gary est âge de 44 ans lorsqu’il écrit
ces mots. Il a compris que le déclin est inexorable. Il s’entretient
régulièrement et on pourrait acquiescer au fait qu’il œuvre de son mieux pour
ralentir la course descendante. Je ne suis qu’un lecteur, traversant
les temps et les époques d’un livre achevé voilà six décennies. Mais une
proximité existe. Comme si l’auteur me soufflait quelques vérités sur les
énigmes que je m’évertue à ne pas résoudre. Il me semble deviner, entre les mots d’un
récit parfaitement maîtrisé, les traces d’une âme devenue sage, d’une âme par-dessous
tout emplie d’une immense compassion pour le genre humain.
Me voilà en face du miroir. Un simple
numéro 4 sur l’échelle des âmes fécondes ; une si mauvaise élève, si peu décidée
à retirer les leçons des années qui passent et s’évaporent. Tout est dopamine,
Monseigneur de la Sainte-baise Patrie ! Faudra-t-il tout posséder pour ne
rien perdre et puis enfin tout perdre pour comprendre que posséder n’existe pas ?
Qu’as-tu perdu, toi, le baltringue ?
La révolte ? Plus certainement,
les mauvaises colères des jeunes années. Le sang contaminé des grands rêves alors
? Les peaux ne s’effleurent plus ; elles crépitent. Mais le rêve existe
encore.
Le second cœur est avant tout une
histoire d’âme. Celle qui s’envole des si frêles histoires humaines. Celle,
époustouflée, qui se tend et lézarde nos amours insondables. Vous les regardez,
ces gens-là et vous ne les comprenez plus tout à fait. Le frisson remonte le
long de votre moelle épinière et va toucher la petite glande enfouie tout au
fond de votre cerveau.
Le vertige vous prend. Vous savez sa
férocité.
Implacable, vous lui résistez. Le
second cœur vous a appris qu’il ne fallait gaspiller, ni le muscle originel, ni
le cœur de ceux que vous aimez. La formule, tout le monde la connaît : il
n’y a pas de regret à avoir.
La mémoire parfois s’emballe. Elle cogne
à l’intérieur de vous comme un univers fougueux, qui voudrait s’échapper et
s’étendre. Vous regardez droit dans les yeux ce qui de vous s’est éteint. Et
vous ne tremblez pas.
Les mots viennent comme des flèches.
Ils sont les messagers d’une chanson que vous connaissez par cœur. Vous avez enrichi
la mélodie de cette vieille rengaine ; trois nouveaux accords, septièmes
ciels augmentés, derniers éloges taris, feuille de route remisée.
Ça sonne comme du rock sale, un air
dédié aux saltimbanques. Les sons empruntés d’une divine vérité qui toujours se
dérobera. On voudrait l’encourager ce petit punk des grandes Tours et des belles
Cités. On voudrait qu’il chante comme un va-t’en guerre, sans avoir peur de
perdre haleine.
On lui dirait que l’essentiel requiert
une conviction plus forte. Aligner quelques riffs, c’est bien. Mais cela ne
suffit pas. On chuchoterait à son oreille que sa sincérité est le paradigme qui
le fonde. Être sincère, encore, pour toujours, quitte à s’arracher les amygdales
lorsque la cloche sonnera la fin de la récré.
Ça le ferait respirer comme l’homme
qu’il est. Nul besoin de déchirer les horizons nouveaux. Ils sont là, à portée
de main. Il suffira de tendre son foutu cœur.
On s’arrête une seconde. On écoute au
fond de soi.
Il n’est guère utile de se perdre en conjectures ou de s’avilir aux longs plaidoyers. La formule est mal fichue depuis sa genèse. Et, là où me placent aujourd’hui les quarante-cinq années qui viennent de s’écouler, il deviendrait presque inconvenant de ne pas l’admettre.
Pour autant, le fait que l’algorithme
originel soit biscornu n’a pas plus de valeur qu’une simple vérité, que l’on assénera tel un postulat. Ce dernier nous apprend quelque chose, oui, certes,
mais sans ne rien révéler de tout à fait fondamental. Son incontestabilité ne
fait même aucune différence.
Tout se joue ailleurs, en ce lieu-dit
de l’âme que l’on tient pour incompressible, à la manière de ce Kourou sauvage
des années 80, qui me fit puis me brisa en deux lorsque je fus obligé de le quitter.
Oui, tout ce qui rend le champ des possibles encore aussi vaste qu’un univers,
c’est cette fidélité-là. La très longue fidélité que tu lui voues, à ta folle
batterie. Envers et contre tout, toutes les erreurs, les cris d’alarme, les
mots prononcés trop vite, ceux qui ne devraient jamais rester au fond de la
gorge.
Reprenons.
Respirer comme un homme. Ne plus
jamais trembler. Ne pas se morfondre, quand on n’a même pas de quoi s’apitoyer.
Ne jamais ignorer la leçon des hommes de bien : si tu t’égares, te perds
et gesticules, chaque jour, tu continues pourtant de faire les gestes qu’il
faut.
Tu garderas grands ouverts les pores
de ta peau, et tu vibreras de cette conviction aussi imméritée qu’insoumise :
être encore capable de s’ouvrir au monde et à ses merveilles, sans ne jamais méconnaître
les lames sans fin de ses détestations.
Il semblerait bien que tu n’aies pas
encore renoncé à la chanson silencieuse.
L’âme ne vieillit pas. Au pire, elle
s’abîme. Au mieux…
Il faudra poser la question à Gary !
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