mardi 20 mars 2018

No Smoking Area




Cela prend forme immédiatement, l’une de ces discussions que tu ne peux tenir qu’avec de rares personnes. La connivence intellectuelle veut ça, certaines similitudes dans le vécu de chacun, des points d’entrées névralgiques.

On se fie à l’intuition, à l’écoute, à l’urgence. Le type te fait face ; il t’interpelle, entre les deux lattes puantes de sa cigarette roulée :

-          Essaie de penser à la raison pour laquelle tu n’écris plus…

Il marque une longue pause, avant d’asséner :

-           Est-ce comme cela que tu t’aimes le plus ?

Il semblerait qu’il cherche à ouvrir une seconde scène, une place secrète nichée en arrière du premier plan, dans ses propres vestiges.

-          Discernes-tu la raison, ou vois-tu seulement le résultat ?

Tu n’as pas envie de répondre. Tu as peut-être seulement besoin d’être secouru. Tu tentes d’esquiver :

-          Dans certains cycles de ma vie, les mots que je parviens à jeter sur le papier sont très fidèles à ceux de mon âme. Dans les autres temps, ceux où cette fidélité n’est plus de mise, une évidence… J’ai moins envie.

Le mec te regarde encore. Il insiste. Il t’inspire confiance. Vous auriez pu devenir amis.

-          Tu sais, dit-il, on passe sa vie à apprendre, avant de désapprendre, dans la foulée de tout ce qu’on a appris. C’est ça le seul cycle qui vaille, mec, le moyen le plus sûr dont on dispose pour continuer, quelque soit l’ampleur de nos erreurs, dans la fallacieuse idée qui voudrait que nos chances demeurent toujours égales.

La musique crépite lancinement une techno trance d’arrière-garde. Tu lui réponds que le second cœur est avant tout un cœur qui s’est trompé. C’est un alibi, lui dis-tu, il ne faut jamais l’oublier.

-          Le sophisme est pour certains un art de vivre, sûrement pas la méthode la fiable pour me convaincre. Les mots peuvent ne pas suffire.

Il sourit. Il marque un temps, dans le silence de l’alcôve. On dirait qu’il a l’impression d’avoir gagné quelque chose. Il te sert un verre de vin blanc.
-          T’as pas une clope, mec ? Te-demande-t-il enfin, d’un air narquois, en crachant vers toi la fumée jaune de son mégot qui crépite.

-          Non, lui réponds-tu. Mais j’ai du feu, Ducon !



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