Cela
prend forme immédiatement, l’une de ces discussions que tu ne peux tenir
qu’avec de rares personnes. La connivence intellectuelle veut ça, certaines
similitudes dans le vécu de chacun, des points d’entrées névralgiques.
On
se fie à l’intuition, à l’écoute, à l’urgence. Le type te fait face ; il
t’interpelle, entre les deux lattes puantes de sa cigarette roulée :
-
Essaie
de penser à la raison pour laquelle tu n’écris plus…
Il
marque une longue pause, avant d’asséner :
-
Est-ce comme cela que tu t’aimes le
plus ?
Il
semblerait qu’il cherche à ouvrir une seconde scène, une place secrète nichée en
arrière du premier plan, dans ses propres vestiges.
-
Discernes-tu
la raison, ou vois-tu seulement le résultat ?
Tu
n’as pas envie de répondre. Tu as peut-être seulement besoin d’être secouru. Tu
tentes d’esquiver :
-
Dans
certains cycles de ma vie, les mots que je parviens à jeter sur le papier sont
très fidèles à ceux de mon âme. Dans les autres temps, ceux où cette fidélité
n’est plus de mise, une évidence… J’ai moins envie.
Le
mec te regarde encore. Il insiste. Il t’inspire confiance. Vous auriez pu
devenir amis.
-
Tu
sais, dit-il, on passe sa vie à apprendre, avant de désapprendre, dans la
foulée de tout ce qu’on a appris. C’est ça le seul cycle qui vaille, mec, le
moyen le plus sûr dont on dispose pour continuer, quelque soit l’ampleur de nos
erreurs, dans la fallacieuse idée qui voudrait que nos chances demeurent toujours
égales.
La
musique crépite lancinement une techno trance d’arrière-garde. Tu lui réponds
que le second cœur est avant tout un cœur qui s’est trompé. C’est un alibi, lui
dis-tu, il ne faut jamais l’oublier.
-
Le
sophisme est pour certains un art de vivre, sûrement pas la méthode la fiable
pour me convaincre. Les mots peuvent ne pas suffire.
Il
sourit. Il marque un temps, dans le silence de l’alcôve. On dirait qu’il a
l’impression d’avoir gagné quelque chose. Il te sert un verre de vin blanc.
-
T’as
pas une clope, mec ? Te-demande-t-il enfin, d’un air narquois, en crachant
vers toi la fumée jaune de son mégot qui crépite.
-
Non,
lui réponds-tu. Mais j’ai du feu, Ducon !
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