Alors que l’aube opérait sans bruit,
je contemplais Liz s’ouvrir à la vie. Le soleil était une pensée pour l’instant
d’après, celui qui nous appartenait de ne pas encore être advenu. Elle
s’étirait avec application, comme on regarderait quelque chose d’abstrait ou
qui relève du cinéma.
C’était intemporel.
Je ne la regardais pas avec
émerveillement. Je la regardais comme la seule femme au monde. Je pouvais
sentir les ambres de sa respiration dominer les sombres replis des couvertures
mauves que nous préférions. Moi, je restais figé. Je m’interrogeais :
comment avais-je pu obtenir cela ? Comment, dans la féroce théorie du
chaos qu’avait été ma vie, j’avais pu fouler les mêmes terres qu’un être tel
que Liz.
Ce n’était pas machinal et ne durait
jamais assez, mais dans ces moment-là je pouvais ressentir la paix en moi. Je me
laissais même saisir par un fugace sentiment d’éternité, une espèce de prisme hors catégorie. Une certitude plus forte que tous les mauvais coups.
Que se passa-t-il ?
Il y a eu d’autres réveils, d’autres
matinées où nous étions maîtres du temps, où nos vies n’appartenaient qu’à
cette seule vérité : nous sommes ce que nous voulons être. Je pouvais bien
crier à l’intérieur de moi, mes cris se perdaient dans les tissus de l’amour de
Liz. Elle était ma patrie de paix, ma sensuelle projection vers un demain sans
ombre, là où nous voudrions aller.
Mais Liz tomba enceinte.
Elle me l’avoua ce matin-là, m’enserrant
le visage de ses mains si délicates et fraîches. Elle me sembla au-dessus du monde,
un endroit sacré que je ne pourrais jamais savoir. Avais-je d’autres choix que de la prendre dans
mes bras, la serrer fort pour ce miracle, l’épouvante de ne plus être le
seul ? Celui à qui on ne dira jamais qu’il en fait trop, ou pas assez.
Celui qui met exclusivement le feu dans votre ventre.
Ce temps allait disparaître. J’allais
devenir un second, la part d’un tout où je ne serai plus l’univers. Je
ressentis une peur immense, une effroyable éradication de tout ce que je
connaissais, de tout ce que cette femme avait fait de moi. Ce n’est pas anodin
de renoncer à cela par amour. J’aimais Liz. Elle allait devenir la mère de notre
enfant. Elle me dit :
- Bernard, ne sois pas plus. Soit juste l’homme que
j’aime. Sois avec moi quand je douterai de moi.
Il fallait que je réponde quelque
chose de bien, un truc considérable. Je lui répondis que nul homme ne pouvait
rêver plus que ce qu’elle me témoignait, mon propre sang et le sien coulant dans
le corps d’un nouvel être, notre futur bébé.
Ce ne fut certainement pas les mots
qu’elle aurait souhaité entendre en premier lieu, mais Liz me sourit avec
compassion, puis posa doucement la tête sur ma cuisse. Elle s’abandonna à la
rêverie avec confiance, tandis que je lui caressais les cheveux.
Comme j’ai menti, ce matin-là.
Le soir venu, demeuré seul dans le
salon, j’ai avoué aux ténèbres ma couardise, mon incapacité à dire la
vérité à la femme que j’aimais :
-
Tu me terrifies, mon amour.
7 commentaires:
Très beau texte bro :)
Merci bro :)
Merci Nathalie pour tes mots et ton "soutien" indéfectible.
Juste entre nous (chuuutt) Bernard ce n'est pas moi... Mais chuuuuttttt...
J'oublierai pas la bise à Pascal..
Des bises ;)
Sensible....beau ...touchant...torturé...sincère ...
L'écriture ne pouvait qu'exister dans ta vie ...la plume libératrice des terreurs de l'âme ...
je t'embrasse
ta mate
Merci pour tes mots ma petite mate, qu'ils font chaud au cœur
Ton mate t'embrasse aussi ;)
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