jeudi 9 février 2012

Ô Capitaine

Ô Capitaine ! S’écria le jeune matelot en se retournant vers lui.

Quel est ce monde que nous parcourons ensemble ?

Quelle est cette limite là-bas, au-delà de la ligne, qui n’a de cesse de se dissiper, alors que nous la croyions tangible quelques instants seulement avant le dernier souffle ? 

La trajectoire vaut-elle le sanglot et les repères sont-ils vaincus d’avance ?

Avez-vous, Ô Capitaine, su lorsque vous vous égariez ? Vos hommes vous regardent-ils toujours dans les yeux ?

Ô Capitaine, ne m’avez-vous pas appris à être le capitaine de mon âme ? Sont-ils tous fous, ceux qui crient, ceux qui pleurent ?

Ô Capitaine, ne tournez pas la tête, ne sommes-nous pas sans cesse en avance sur notre temps ?

Avez-vous entendu comme moi le chant de l’oiseau, lorsqu’il a survolé notre navire ? On le devinait presque heureux, parce que nous étions presque libres.

Ô Matelot, gentil matelot, s’efforça de reprendre le gouverneur.

Le gouvernail et la proue ne sont pas des artifices ; ils sont le cœur qui bat et le sang qui cogne. Les eaux troublées sont supplice, calice et la nouvelle épopée que tu traverseras.

De quoi sommes-nous faits, outre nos choix, nos amours et nos pardons ?

Qu’est-ce qui nous tue, matelot, mieux que ce vilain personnage au fond de nous, qui ne se détermine pas ?

Ô Capitaine, je ne comprends pas ! Maintenant, voyez-vous comme moi au loin la nouvelle Terre et ses fameux rivages ? Et bien que nous ayons ensemble contourné mille récifs et vaincu une tempête décennale, ne hurlez-vous pas de joie ? Que partagez-vous ?

J’ai en moi les récifs, les tempêtes et mes guerres, matelot. Ce que tu vois n’est pas ce que je vis. Ce que tu vois, c’est ce que ton âme t’accorde. Ce que tu vois incarne ordinairement les latitudes que te laissent ton cœur, pour tenter de devenir, tout au bout de la route, au-delà des mondes qui se seront écroulés, au-delà des routes tordues que tu auras arpentées, au-delà encore des leçons qui ne seront pas forcément des progrès, celui que tu es vraiment.

Ô Capitaine, je ne devine pas vraiment ce langage. Et puis la seule chose que je voudrais savoir, plus que toute autre, c’est comment trouver mon chemin véritable ?

L’homme dévisagea le jeune matelot puis se retourna sans répondre et repris la barre, le cours normal des choses, tandis que la coque lumineuse transperçait les flots du monde et les éclaboussait, toujours fièrement et sans jamais ne trop se hâter…


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