Il
est un fait avéré que des prévisions restent et demeurent des prévisions. The
Wall ne fonctionna pas hier. Le vent avait forci et tourné Nord dans
l’après-midi. Le soleil était là, la houle également, mais il manquait ce que
nous y avions vu la veille, de quoi s’inventer une première session de surf en
2013.
Nous
restâmes pourtant très longtemps sur la plage. Yann souvent prenait le relais
avec les enfants qui n’avaient de cesse d’aller flirter avec les écumes
déroulant sur le rivage et qui sautaient sur la digue partout où cela pouvait
être un peu dangereux. Il dessinait au sol de grands cercles avec un bâton à
taille humaine droit comme un i et qui s’incurvait légèrement à l’une des
extrémités, devenant la parfaite pointe d’un crayon fait pour le sable.
Je
m’éloignai parfois d’eux et sans appareil photo cette fois-ci je prenais le
temps de voir. La marée basse laissait la digue à nue et ses rails de chemin de
fer un peu fous incrustés par les allemands de la Seconde Guerre. Il ne
souffrait ici d’aucun préjudice. Il fallait regarder la Ligne d’hiver et
comprendre ce que le temps offrait et reprenait ensuite. Les planches de surf
restèrent allongées sur leur sable et nous avec elles qui marchions et courions
et riions encore, tandis que les souffles du large et du Nord ne faiblissaient
pas.
Après
la nuit qui fut celle d’une redondante partition et d’un matin où le ventre ne
pouvait guère se cacher de lui-même, nous partîmes en ballade au très proche
Nord de la côté soulacaise. Yann nous offrit une seconde merveilleuse inconnue
en deux jours, une succession sans fin d’anciens bunkers et de fortifications,
les résidents d’un passé inscrit dans la dune et écartelés par le temps, tagués
dans leurs moindres fragments, offerts à la ballade aventureuse des enfants et
aux multiples prises de vue. Cela dura plus d’une heure où nous escaladâmes des
murs, descendirent dans les obscurités et prirent quelques risques avec toutes
les précautions nécessaires. Les deux garçons frissonnaient de bonheur puis ne
forçaient que très légèrement leur courage quand le noir ou le pas à venir
devenaient un peu plus exigeants et le dernier bunker nous laissa bientôt
tandis qu’il délivrait à l’immensité devant lui une missive dont on pouvait se
demander à qui elle s’adressait vraiment : Le futur, c’était mieux avant.
Nous
descendîmes sur la plage pour revenir à la voiture et la digue affleurait si
bien qu’elle créait des retenues d’eaux salées qui formaient de véritables
piscines telles que l’on en avait vu étant jeunes dans les iles du Bagne de
Guyane. Je tenais la main d’Ethan et Yann celle d’Eléis pour prévenir toute
chute du fait de cette mousse glissante vert émeraude qui envahissait la pierre
de la digue, là où nous marchions si proches des eaux piégées.
J’allumai
une première cigarette depuis quelques temps pour que la fumée puisse endormir
un peu le feu mais le feu avait sa vie propre et tenace. Nous déjeunâmes
rapidement parce que la lagune en face de la maison était lisse comme un lac à
l’accalmie, ce qui signifiait de faibles vents d’Est qui nous donneraient
peut-être la chance que nous n’avions pas eue la veille. La houle avait baissée
en 24h alors je laissai la Hap Jacob 7’2 dans le garage et pris la Ocean Safari
8’0 qui dormait sur le rack en bois depuis l’été parmi les planches du quiver
de Yann. La chaleur du ciel de 14h30 était inavouable, une précieuse largesse
du temps qui accordait au courage ce qui lui manque parfois aux préliminaires
d’une session hivernale.
-
On va
au Sud chercher les droites que tu aimes, me disait Yann.
Les
enfants étaient déjà dans la voiture si impatients comme nous de revoir la
Ligne. On envoya le Black Album pour que cela sonne comme il devait. Soulac
fut bientôt derrière nous et nous longeâmes les forêts de pins qui ne respiraient pas
encore la fragrance des étés heureux mais il fallait bien commencer par quelque
chose. Le front de mer de Montalivet nous offrit immédiatement de bonnes
perspectives car le premier pic au nord fonctionnait et nous n’étions pas les
seuls surfeurs à avoir compris qu’une heureuse survenance pouvait advenir en cette
douce après-midi du dernier jour de février. Yann me proposa de pousser jusqu’à
la centrale, ce que nous fîmes et je m’arrêtai dans la courbe du rond point en
face du spot et dominé par les drapeaux de l’Europe. Là, un surfeur vint à nous
et tapa en souriant à la vitre de la portière.
-
Excusez-moi, mais vous n’auriez pas un peu de wax s’il vous plaît ?
-
Oui, bien sûr, lui–répondis-je et je ne pus m’empêcher de sortir une inévitable
blague à deux sous : mais j’espère que tu as beaucoup d’argent sur
toi !
Le
surfeur rigola avec moi tandis que je lui donnai un pain de wax entamé mais
largement suffisant et il me remercia tout autant qu’il remercia ensuite les
parfaites conditions du jour. On fit demi-tour et maintenant nous savions tout
deux que nous allions surfer. Nous nous garâmes au « Maroc » de la
dune de Vensac qui avalait au fil des ans le bitume de la route côtière. Le
Maroc était sans aucun doute la vague que nous avions le plus surfée ensemble
en une décennie. Une droite ouvrait sans concession et n’était à l’eau qu’un
seul surfeur. Les deux pécheurs nous rendirent service car ils rangèrent leur
matériel alors que nous déchargions les planches et nos affaires de la voiture.
En cheminant vers la plage, je parlai longuement au plus grand des deux
garçons. Je lui donnai une responsabilité qu’il n’avait jamais eue et qu’il
honora parfaitement, en cela sûrement que la confiance ne restreint pas mais
fait grandir.
Nous
faisions maintenant face à la vague et il semblait y avoir un courant qui
tirait vers le large et les séries laissaient une brèche pour la mise à l’eau.
Je donnai mes dernières recommandations :
-
Vous restez visibles tout le temps sur la dune que vous pouvez faire tomber si
cela vous plaît mais toujours visibles en face de nous et au moindre pépin, tu
fais de grands signes avec les mains. Nous regarderons toujours et nous ne
sommes pas loin. L’eau est dans ce sac et les petits princes aussi.
Il
fallait se dévêtir peu à peu pour s’engoncer ensuite dans les différents
éléments de la combinaison d’hiver. La 4’3 jusqu’aux hanches puis les chaussons
et alors seulement enlever le sweet et le tee-shirt et enfiler le top avec
cagoule intégrée et finir de se recouvrir entièrement de néoprène. Je me rendis
compte alors que la paire de gants que m’avait prêtée Yann m’offrait deux mains
droites et cela nous fit rire un peu jaune mais rire quand même, ce qui ne
m’empêcha pas d’enfiler avec de grandes difficultés le gant à l’envers et de
constater l’étrange inclinaison que cela donnait à la main concernée ainsi
qu’un manque assez évident de souplesse.
Enfin
je me rapprochai de l’eau et les mousses déjà venaient cogner sur les jambes et
Yann n’était pas loin derrière moi. Je fus allongé sur la planche alors encore
à moitié sec et rapidement je m’engouffrai dans la passe en espérant très
sincèrement que le prochain set me laisserait le temps d’atteindre le pic. Cela
fut accompli sans grand mal et les premières rames pour attraper une vague furent
impossibles et me piégèrent rapidement, trop lent pour partir sur la première
vague de la série, trop loin déjà pour éviter toutes les suivantes. La première
d’entre elles qui percuta mon visage et qui m’ensevelit ensuite m’arracha un
cri silencieux et aquatique tandis que l’eau froide s’engouffrait dans la
cagoule et venait geler mes oreilles.
Mais
nous étions à l’eau et le soleil brillait sans faillir. Je n’avais pas surfé
depuis novembre, une session de fin de journée un peu sale en Méditerranée qui
m’avait vu sortir de l’eau alors que la nuit était déjà tombée. Yann n’avait
pas surfé depuis septembre, depuis son dos et sa première opération qui en
nécessitait aujourd’hui une deuxième. Les bras comme du coton, le souffle en
recherche de lui-même et dans la gêne des épaisses couches de néoprène, je
passai un temps interminable à chasser sans succès cette première vague de
l’année. Nous vîmes bientôt Eléis faire les grands signes convenus depuis la
plage et on voyait son petit frère à côté de lui assis dans le sable de la dune
qui naissait dans son dos. Cela nous donna une énergie supplémentaire alors que
le vent de Terre et le courant nous poussaient au large.
Je
finis tout de même par être bien placé, peut-être un peu trop à l’inside mais
il fallait ce qu’il fallait. Je sentis enfin que le dernier coup de rame était
le bon et la magie du souffle de la planche qui prend vie sur l’onde en
mouvance opéra. J’étais debout et si la section avait déjà un peu trop fermé,
il ne fut pas si ardu d’atteindre le rivage en se laissant porter un peu comme
cela, à l’ancienne, dans la seule recherche de glisse et de la bonne
trajectoire. Je souriais en me rapprochant de Yann qui m’avait devancé et des enfants qui n’avaient plus aucun
problème sauf du sable et de la boue un peu partout sur leurs vêtements.
-
On y
retourne ? demandai-je à mon ami qui répondit par l’affirmative.
Il
y eut encore deux vagues, dont la première m’offrit un beau take-off, suivi
d’un bottom-turn assez franc qui me donna assez de vitesse pour enchainer un
cut-back. Lorsque je revins au pic j’étais seul cette fois-ci et presque
heureux et je regardai la Ligne avec les yeux plissés par le sel et le soleil.
Je restai ainsi quelques instants dans la double contemplation de l’horizon éternel
et de tout ce que l’on avait su autrefois et alors je me mis à hurler, à hurler
de toutes mes forces pour que le feu disparaisse et je criai ensuite son nom et
ce que je devais lui dire sans autre façon. Les mots se perdirent et se dissipèrent
si vite qu’ils ne semblaient pas avoir été prononcés et l’Océan me réapprit que
l’on ne peut de toute façon rien lui cacher de ce que nous sommes.
De
nouveau sur le sable et proche des enfants sur ma gauche qui n’avaient pas encore
fini d’envahir la dune et de Yann sur ma droite qui comme moi avait retiré tous
les éléments de la combinaison, je pris un instant pour de nouveau me projeter
en Elle. La Ligne était dorée et deux surfeurs un peu plus loin se jetaient à
l’eau. Le soleil descendait et les contorsions de sa lumière envahissaient
l’espace liquide et sableux devant moi. La Ocean Safari reposait à même le
sable à quelques mètres sur ma gauche, dorée elle aussi par l’éclat du jour
évanescent. Je regardai mon ami quelques instants et je vis cette même lumière briller
dans son regard, en la connivence d’un Monde qui ne cesserait jamais de nous
bouleverser. Je repensai à nos deux trajectoires, si différentes l’une de
l’autre mais qui pourtant avaient vu nos deux vies être renversées et remaniées
dans une force au moins égale en à peine plus d’un an. Je repensai à ces
innombrables fois où nous avions été une voix, un soutien et une conscience
l’un pour l’autre à six cents kilomètres de distance et j’eus quelques larmes plutôt
heureuses que le vent d’Est qui avait forci depuis une heure emporta vers le
large. Nous étions tous les quatre sur la plage et le Maroc nous avait offert
nos premières classes. Et dans le vent de la terre et le ressac Atlantique,
résonnaient nos histoires passées et celles à venir, celles qui nous privaient
d’une vie pour nous apprendre à vivre, sans qu’il n’y ait plus rien que la
respiration du Monde tout autour de nous.
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