mercredi 13 juin 2012

Matala

Matala, Crête. Août 2011



Il est minuit ou un peu plus d’une heure dont je distingue seulement la sèche luminosité ambiante. Les mots qui suivront ne diront sans doute pas le tiers du monde que je souhaiterais conter.

Il existe un iris au fond de moi qui devrait être capable de se signifier à lui-même ce qu’il est et ce qu’il devient, sans finalement escompter autre prodige.

Le temps fuit à ce point que voilà que près de quinze mois que tu es parti. Il y a un an à peine, c’est notre mère qui a failli te rejoindre.

De mon côté, je vois mon fils dépasser seulement ses deux ans. Et bien qu’il t’ait rencontré une fois, il ne te connaîtra pas. Bien qu’il connaisse et reconnaisse un peu « Mouna » sa grand-mère, peut-être n’aura-t-il pas le temps de se souvenir d’elle…

Je suis absolument effaré par cette contorsion qu’offre le temps. Le temps de vivre ensemble et que tu meures, les deux à peine écrits, déjà en train de s’effacer. Il me reste une vie à faire mais tu n’es déjà plus là. 

Je ressens mon fils comme le plus grand miracle de ma vie mais toi, finalement, que ressentais-tu ?

Je fume mes cigarettes comme je respire, tel un souffle tronqué, accolé à la première peau. Je respire cette fumée et, la recrachant, je me demande très sincèrement comment trente sept années ont déjà bien pu passer. Il me semble des années sans écrire, bien que cela ne soit pas tout à fait exact, et donc, sans doute, des années sans dire la vérité.

Il m’est plus facile de te parler à toi papa, maintenant que tu es mort, qu’à notre mère, qui est devenue une énigme miraculée. Notre langage s’est estompé mais je crois tout de même qu’il nous reviendra un jour. Notre mère mourra aussi, un jour prochain. Que lui raconterai-je alors, lorsque son ombre sera engloutie par un soleil tel que celui que nous avons connu aujourd’hui ?

Je suis mortel, et je l’ai compris. Je suis cette machine qui, depuis la paternité, a instauré un certain degré de maîtrise.

Autour de moi, les champs d’olivier.

Ce que je cherche n’a pas de mot. Tout comme le centième nom de Dieu, on connaît les quatre vingt dix neuf premiers, mais on ne sait plus rien ensuite.

Je voulais écrire des merveilles et des contes et cela n’a guère changé. Je voulais dire l’iris ; je suis devenu silence d’une  vie pleine.

Je fume et j’éteins ma cigarette. Je regarde les champs d’olivier et les lumières de Matala. Douce est la nuit en Crête, mon père, et comme je me languis de toi…


2 commentaires:

Duke a dit…

Droit au coeur...

Olivier Brugerie a dit…

Comme ton commentaire bro...

Enregistrer un commentaire