samedi 3 septembre 2011

Au centre

Un beau type, d’un physique sans faille, bronze doucettement au bord de la piscine. Il tient mollement le poignet de sa femme, allongée à ses côtés. Il semble sobrement heureux, un air de sans rancune pour ce qui n’est pas advenu inscrit dans ses traits, un peu vieillis, seulement ridés aux coins des yeux par les inadvertances mensongères de sa propre vie, le parcours ténébreux des entourages et le souvenir finalement tangible des larmes passées. Celles-ci ont creusé les sillons d’une diplomatie d’usage, celle des grands hommes, celles de ceux qui ont compris. Car c’était bien çà l’enjeu.

Notre homme pourtant a mis du temps à se laisser convaincre. Tardivement, après bien d'autres, cela s’est tout de même produit. D’un coup, surprise émérite, un équilibre rompu sans vacillement préalable, une sensation diffusée à l’ensemble de son être en quelques secondes, alors suffisantes pour analyser le phénomène, tandis même qu’il survenait. Une pensée se formula brutalement en lui, distincte comme l’eau d’une pierre :  «La contenance disloquée de mon humanité ne fait pas de moi un être disloqué ; elle fait de moi un individu ergonomique, parvenu à l’équivalence des coups infligés, des rêves abattus et des retrouvailles avec le ciel. Abouti, affranchi, déculpabilisé de n’être qu’insuffisances.  Je ne suis que moi… Et il me semble que j’acquiesce enfin. » 

Il relâche la faible étreinte, tandis que la furtive souvenance s’enfuit. Les doigts libérés lui grattent la hanche en une espèce de manie estivale qui advient après le solstice, si le printemps s’est contenté d’être lui-même, décongestionnant. Que lui rappelle ce geste ? Qu’il n’a pas toujours été tranquillement allongé au bord d’une piscine rectangulaire, dans l’alternance d’une démangeaison de zones imputrescibles et d’une esquisse d’amour, entourant de sa main l’avant-bras ténu de la femme qui partage sa vie. 

Elle demeure à ses côtés, utilisant savamment et en silence le langage qu’il a lui-même créé. Sans lacune, elle lui raconte l’histoire écrite par lui, celle de ses amours impossibles qu’il a bien fallu faire taire, puisque ne subsistent aujourd’hui que les preuves multipliées de leur unanime déficience. La sagesse affective l’épargne et finalement, le nourrit plus durablement. Il la regarde dormir, ou peut-être somnoler, et se dit : «La juste configuration vient de l’amertume qu’on maîtrise jour après jour, échafaud du progrès véritable. L’exercice de style naît de cette prouesse ! Car il en faut de la persévérance pour survivre sans affaissement. Mon dos n’a de courbé que la colonne, imperceptible face au rythme endiablé de sérénades aujourd'hui enfuies, et qui ne résonnent plus guère.»

Il se lève, investi d’une exaspération nouvelle, encore indécelable pour elle, qui stagne, lézardée au sol. Deux pas, un pied tente l’eau moite, se rétracte et revient, plus courageux. Il plonge et mouille ses cigarettes. Il sort furieux, emmène sa querelle ailleurs, sans préciser...

Plus tard, elle vient le voir, lui qui n’est pas réapparu. Dans son seul geste d’approche, il sait qu’elle tentera dans une seconde de démontrer quelque chose qui n’existe pas complètement. Elle lui propose ses lèvres, qu’il suçote d’abord sans réel investissement, avant de s’y intéresser plus soigneusement. Après avoir fait l’amour -  ils n’ont d’enfants que dans les rêves de l’autre – il se désengage d’elle sans précipitation. Et de nouveau la main qui tente mais qui n’y parvient pas. La caresse, comme un doux leurre. Il allume une cigarette et regarde au delà de la fenêtre, un écran où les images qui défilent sont celles qu’il fait naître lui-même. Son errance imaginaire devient rempart face au vide, le protégeant de l’absence laissée par les mots qu’il ne pourra dire, à seule raison de ne pas les connaître au fond de lui.

Elle se lève maintenant et se dirige vers la salle d’eau. Il demeure seul dans le vaste salon aux baies vitrées, les yeux  n'ont pas quittés l’écran. La nuit tombée est belle et sèche. Il n’a bientôt plus besoin de faire venir des images ou d’inventer un quelconque scénario. Il se met sincèrement à espérer la pluie et plus follement ensuite, un orage d’été venant démettre les ténèbres.



2 commentaires:

Duke a dit…

"démettre les ténèbres"....
Quelle belle image Bro !

Bon ben tu entames costaud, comme cela non sait à quoi s'attendre.
Bizzzzz

Olivier Brugerie a dit…

Bizz bro, j'ai plein de questions à te poser concernant les fonctions et la mise en page. call me si jamais tu sais pas quoi faire ;)

bizz

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