Hier
soir, vers 1h du matin, je discutais assez sereinement avec la chanson
silencieuse. Je n'avais pas réussi à écrire un seul mot lorsque tout le monde
était allé se coucher ; la chanson avait certainement trop à dire...
Je
l'écoutais. Et j'allumai peut-être la vingtième ou la vingt-deuxième cigarette
de la journée. D'un coup, née d'une soudaine petite révolte, nous nous sommes
entendus avec la chanson. Elle m'a dit :
- Qu'est ce que tu fous, putain ?
Qu'est-ce que tu fous ? J'ai
laissé passer quelques secondes avant de lui répondre en silence :
- Je
partage ton avis. Qu'est-ce qui m'oblige à être aussi con ?"
Alors on a
passé un deal. Ma chanson sait très bien que je suis un fumeur invétéré ; le
temps des fumées évaporantes et acides n'a pas encore mordu les poussières
d'anges. Être moins con, ça peut être, pour débuter, s'affranchir de quelques
unes de ces maîtresses là.
Après
une nuit moyenne, je me suis levé vers 10h. J'ai commencé par être un peu de
mauvaise humeur, comme bien souvent. Ensuite, pour m'accorder au temps qui
s'annonçait splendide, j'ai rejoins les deux garçons dans le bain ; on n'avait
pas beaucoup de place mais la bonne humeur compensait largement. Puis j'ai
pris mon café, deux brioches, comme d'hab. Et là, je n'ai pas fumé. Cette
putain de première clope, je l'ai renvoyée à un peu plus tard. 45 minutes
exactement ; pas si mal en somme.
On
a tous en tête des citations qui nous ont marqué, et qui nous marquent encore.
L'important, dans ce genre de gymnastique, c'est avant tout que ça sonne, style
(revoyez la scène) :
- I'll be back !
- I'll be back !
Parfois,
c'est le symbole qui compte, et toute la résonance que peut prendre en vous une
simple phrase prononcée par un bel acteur hollywoodien, ou pas, s'il ne
ressemble à rien. Je prends deux exemples :
- Il y a une grande différence
entre connaître le chemin et emprunter le chemin (Morpheus s'adressant à
Neo dans le premier Matrix). Et, à quelques mots près :
- Savoir qu'on va
mourir et décider alors quoi faire du temps qui nous est imparti. Tiré du
premier ou deuxième volet du Seigneur des Anneaux.
Les
belles phrases ne choisissent pas forcement leur film, mais le libre arbitre
existe, alors autant choisir les phrases qui nous vont bien. Ces deux là me
parlent. Elles me disent par exemple que la position exacte que l'on tient dans
sa propre vie n'est que la très complexe somme de tous les choix qu'on a faits.
Et de tous ceux qu'on n'a pas faits, évidemment.
J'ai
décidé de me tester un peu aujourd'hui. L'été est déjà loin, les sessions de
surf s'éloignent dangereusement, bien qu'on ait quand même réussi à surfer deux
ou trois fois en novembre. Une fois à Sète, comme une bonne surprise, une fois
à Soulac-sur-Mer, bien sûr ; les escapades médocaines sont fondamentales, alors
on ne les sous-estime jamais.
Depuis,
si j'étends la douce Méditerranée bercer les nuits de mon récent exil
professionnel, ne demeurent plus que les cigarettes et les coups à boire, qu'on
enchaîne et qu'on enchaîne, et puis viennent les fêtes, les bons repas, la
grève du corps en mouvance, les premières graisses hivernales. J'ai regonflé
les pneus du vélo qui s'empoussiérait dans le garage, tandis que la chanson
m'accompagnait encore, un rire doux et une image volée au fond du ventre, là où
demeure le fragment incompressible.
J'ai
pris la route, et juste à ce moment là, j'ai allumé une cigarette. J'ai tiré
une latte, comme un acrobate qui ne connaît pas les bons tours, puis je
me suis arrêté quelques secondes plus tard sur le rebord de cette même route.
J'ai écrasé la cigarette à peine consumée sur le cadran du vélo, tandis que la
chanson acquiesçait de son petit rire moqueur. J'ai parcouru quelques centaines
de mètres jusqu'à m'arrêter une nouvelle fois sur le côté. J'avais pris
l'appareil photo que mon frère m'a vendu il y a de cela quelques semaines,
matérialisant ainsi une certaine idée des bonnes survenances : à n'en
pas douter, je trouverai bien quelque chose de beau à shooter ! Le
panoramique plongeant sur les vallons du Gers qui s'offrait à mes yeux ne me
mentait pas. J'ai sorti l'appareil, les piles sont tombées au sol et j'ai très
exactement restitué l'endroit où gisait la carte mémoire de l'appareil. A la
maison, près du Mac, là où je l'avais laissée une heure plus tôt....
J'ai
renoncé à ce suspens du beau sans trop m'en vouloir, puisque de toute façon, me
suis-je dit, c'est mon frère le pro de la photo ! J'ai repris la bécane et j'ai
enfin lancé ma course, laissant la chanson un peu en arrière de moi. La lumière
du jour devait savoir qu'il était temps. Elle se concentrait déjà, elle
m'indiquait la marche à suivre. J'ai roulé, j'ai laissé les plus belles maisons
de Pujaudran s'évanouir derrière les premiers lacets, et j'ai pris la route
descendant vers la foret de Bouconne, que j'ai traversée par celle menant à Léguevin
sans grand mal. Les cuisses chauffaient, le rythme se mettait en place et je
m'accordai doucement aux images envoyées par ce monde brut, humanisé,
inaccessible. Le soleil déjà se cachait derrière la cime des plus grands arbres
et la ligne droite d'asphalte était tout au devant de moi, une
promesse devant encore se révéler.
C'est
à ce moment là que j'ai repensé à cette phrase : Et décider alors quoi faire du
temps qui nous est imparti." J'ai pris des images simples et ce que
j'avais sous la main pour en extraire un sens, le sens du jour. Il y avait
derrière moi ce passé, constituant chacun de mes pas, le parcours, les
méandres, les pertes incalculables et les retrouvailles avec le ciel. Sa vérité
réside en son langage et ce langage là, tu ne le laisses jamais au bord de la
route. J'ai beau accélérer, foutre le braquet le plus costaux, me faire bruler
les atomes les plus profondément enfouis, je ne me départis pas de Lui. Il est
ce que je suis.
J'ai
atteint Léguevin, il me restait le plus dur. La remontée vers Pujaudran. Des
faux-plats de bonne facture, des pentes douces puis plus sûrement, le bouquet
final, la pente menant au village lui-même, plus ardue. Le meilleur pour la fin,
comme j'ai toujours aimé. Je n'ai pas posé le pied au sol jusqu'à chez moi.
J'ai minimisé ma peine en soufflant doucement, comme le font les êtres heureux
en se frôlant la main au soir couchant. Le ciel brûlait derrière la deuxième
colline du village et les nombreux avions qui passaient au dessus zébraient la
lumière d'un orange feu plus saillant, plus déterminé, plus humain que le reste
du tableau. Cela lui donnait plus de force encore, une autre vérité, parce
qu'un ciel sans homme, au final, ça doit être un peu chiant.
A
la question : Quoi faire du temps qui m'est imparti ?... Je n'ai pas voulu
répondre. J'ai préféré me poser une ou deux autres questions. Qu'est-ce qui te
définit le plus sûrement, ce qui tu as fait jusqu'à ce jour, ou ce que tu n'as
pas encore accompli ? Est-ce que tu ignores seulement que tu sais déjà au fond
de toi que tu as déjà écrit la suite ? Est-ce que cela fait de toi un homme
bon, un homme juste, ou celui qui hésite à se reconnaître tel qu'il est
vraiment ?
Je
suis rentré, la nuit tombait tout juste. Je transpirai. J'avais mal au dos et
quand je suis descendu du vélo, je ne tenais quasiment plus debout. Je me suis
étiré aussi bien que possible et j'ai bu un peu d'eau. La famille n'était pas
encore rentrée. J'ai allumé la télé et puis j'ai éteint la télé. Je me suis douché.
J'ai mis un disque de Léonard Cohen, acheté la veille à Toulouse, depuis le
temps que je savais que je devais acheter du Léonard Cohen et je me suis posé
devant l'écran de l'ordinateur, comme s'il fallait répondre à l'urgence de
vivre par quelque chose de tangible.
Les
mots sont là, il est 20h30. Je bois du vin et je vais aller fumer une clope,
tandis que Angus Stone envoie ses "you are the only one" qui
perforent et qui perforent, la probante et viscérale matière de mon être, la
chanson silencieuse, et toutes celles qui font un peu plus de bruit.
3 commentaires:
Je vais radoter, mais vraiment que dire à part : Jubilatoire Bro !
Merci bro, tes retours sont des caresses !
lov u ever
Je vous demande de vous arrêter !
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