dimanche 12 août 2012

Pt. 1


Plage du Grau d'Agde. Jeudi 26 juillet, fin d’après-midi.


Ecrire ce que l’on voit, plutôt que ce que l’on pense.

Juste en face de moi, alors que je suis allongé parmi la foule estivale, le long de ces côtes méditerranéennes dont je n’apprécie que mollement les plus hautes affluences saisonnières, est assis dans un fauteuil de plage de tissu blanc et bleu un homme d’une soixantaine d’années. Il a même probablement un peu plus que cela.

Il n’est pas beau. Il lit, me semble t-il, une banale revue « féminine » de circonstance, avec une petite moue permanente qui fait manifestement descendre sa bouche vers le bas, tout en la tirant un peu vers la gauche. Cela ne lui donne en aucun cas un air ridicule, mais plutôt une façon un peu austère de se présenter à nous. Cet homme est très bronzé, il porte bien sûr des lunettes de soleil, dont le rose légèrement foncé des verres doit apporter un certain confort à sa lecture. Son poignet gauche est orné d’une belle montre en argent qui brille par intermittence, en renvoyant vers les proches alentours les rayons de ce soleil de fin de journée.

Quelques minutes viennent de passer. Il ne doit plus faire aussi chaud que tout à l’heure, car l’homme vient d’enfiler un tee-shirt blanc crème, qui lui va d’ailleurs à merveille. Des nuages sont effectivement sortis de nulle part, sans doute en provenance des terres, et ont voilé le soleil. L’effet a été immédiat ; on ne ressent plus aussi nettement cette aisance épidermique propre aux chaudes expositions d’été.

Il est vrai qu’il ne fait plus aussi bon, mais nous sommes seulement sortis après 17h, lorsque les heures les plus torrides de la journée étaient derrière nous. Tout le monde a fait la sieste. Je me suis réveillé en premier et j’ai fumé quelques cigarettes sur la terrasse, cette dernière exposée plein ouest, alors envahie par la lumière et la chaleur de l’astre de feu. L’air était presque immobile mais de part le don d’une infime brise, il demeurait très doux à la peau. Le silence partiel du quartier, parfois interrompu par les pétarades d’une mobylette ou les bruits d’enfants jouant un peu plus loin,  nous ramenait parfaitement à la douce condition de cette journée d’été.

Le vieil homme en face de moi n’est pas venu seul. Il discute effectivement depuis peu avec son voisin, n’échangeant que brièvement avec lui mais d’un ton assez vif. Ce voisin, qui doit connaître le même âge que lui, porte également des lunettes de soleil et a lui aussi la peau très bronzée, presque noire. Pour seule variation, une casquette grise un peu sale orne de façon anachronique le sommet de son crâne. On dirait que les deux hommes, dont les deux femmes sont semblablement assises l’une à côté de l’autre dans les mêmes fauteuils de plage, sont d’une si vieille connivence que celle-ci pourrait presque se passer de mots. En tous les cas, de longs discours. Un regard, un geste, une petite phrase et tout est dit, tout est su. En les regardant, on ne peut s’empêcher de se poser quelques nécessaires questions d’usage : depuis combien de temps sont-ils amis ? Passent-ils depuis toujours leurs vacances ensemble en Méditerranée? Que n’ont-ils vécu jadis d’ineffable, que rien ni personne ne pourra jamais leur ôter ?

On ne sait pas et on ne saura de toute façon pas ce qui habite chacun d’eux, mais on devine une petite part de ce qui les anime collectivement, lorsqu’on les regarde et qu’ils entrent en lien l’un avec l’autre. C’est une scène anodine, parmi toutes celles jouées et répétées tout autour de moi, dans la densité humaine de cette vaste multitude en vacances, une somme infinie de possibilités. Toutes ces vies, dont certaines ont du être époustouflantes et d’autres, tout à fait banales.

Le vent a forci depuis quelques minutes. Il a balayé la ligne de nuages qui s’étaient installés au dessus des rivages, tel un chemin céleste inaccessible. Le soleil est réapparu, d’abord timidement, avec réserve et maintenant sans vaciller. On dirait qu’il est sûr de lui. Entre ciel et sable, il n’est ici plus question de sentiment. Seul le regard compte, et ce que l’on fait de lui. 


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