Samedi
27 septembre 2003, 11h49 – Terrasse de papa, Kourou.
Les mots sont revenus avec toi, en te respirant de nouveau. C’est le gage d’une histoire enracinée, à laquelle il n’est besoin de rajouter nul artifice. Les Grandes Équinoxes, ici on les a tous vécues. Elles nous ont renversés, elles nous ont fait manger le sable, elles nous ont arraché nos maillots de bain et, dans la bastringue, nous ainsi ont ensemencés.
Aujourd'hui, là où maintenant je réside, en la maison de mon père et depuis sa terrasse, cerné par ses plantes, ses fleurs, son second souffle, j’ai les yeux ouverts et je regarde de toutes mes forces partout autour de moi. Je suis enrichi d’un immense cadeau, celui d’une certitude originelle enfin recouvrée, après cinq longues années : je vibre et je ressens ce pays dans un idiome incontournable et unique, celui qui concentre en lui ce pourquoi je suis fait.
C’est un anniversaire qu’il faudra taire
aujourd’hui. Le vague à l’âme est revenu non trop soudainement mais avec le
bruit tambourinant de mon cœur une nouvelle fois en mouvance. Mon départ
approche. Je suis ici mais une part de moi déjà s’y soustrait, comme s’il n’y
avait d’autre choix que celui d’éparpiller sa vie en des fragments d’une
solitude inavouée, dont je ne sais que faire.
Vivre ma vie sans restriction me demanderait sans
doute d’échapper à ma nature de chevalier à la bannière floue, indistincte.
Il y a un an, débutait pour moi le temps d’un
naufrage total et certain, dont je ne mesure aujourd’hui qu’à peine les
incidences. Il me semble toutefois que ma morphologie humaine en a été
modifiée, du moins partiellement. Peut-être plus apte à tolérer ce qui diffère
ou chagrine chez autrui, mais dangereusement moins capable de discerner, quand
il s’agit de ma personne, la voie à suivre, l’instinct auquel il faudrait se
fier, enfin les pièges intrinsèquement liés à mon être et qu’il me faudrait
absolument contourner.
Le temps passe irrémédiablement et sa course
m’effraie. Je ne dompte que trop peu ses mécanismes. Je recherche l’équilibre
et la sérénité mais je ne trouve que par instant, comme lors de ce séjour, les
réponses utiles et nécessaires à l’instauration de cet état d’être. Il me
semble aussi transformer trop facilement les réponses que j’obtiens en
nouvelles questions ; c’est une dynamique inlassable, dont je tire ma
substance et qui m’épuise autant qu’elle me régénère.
Ho ma Guyane, comme je te quitte déjà, la douleur
qui me brûle le ventre s’adoucie néanmoins d’elle-même, car elle sait
pertinemment que ce déchirement ne revêt en aucun cas un caractère définitif.
Te quitter aujourd'hui, c’est te revenir demain.
Les mots sont revenus avec toi, en te respirant de nouveau. C’est le gage d’une histoire enracinée, à laquelle il n’est besoin de rajouter nul artifice. Les Grandes Équinoxes, ici on les a tous vécues. Elles nous ont renversés, elles nous ont fait manger le sable, elles nous ont arraché nos maillots de bain et, dans la bastringue, nous ainsi ont ensemencés.
Les pays et les nations ne sont rien sans les
hommes. Aussi, si nous en rencontrons une kyrielle infinie au cours de notre
vie, il y a parmi nous deux espèces qui me touchent plus que toutes les
autres : les bâtisseurs de rêves, les architectes.
Les derniers mots de ce voyage seront donc pour
toi, architecte. Les gens que l’on aime le plus sont aussi ceux qui nous tuent.
Mais ce n’est pas la règle. La règle s’écrit d’elle-même, dans ce que l’on
entreprend et dans la conviction que l’on met à entreprendre. La trahison n'est qu’un mot de plus. J’écrirai peut-être ce livre, puisqu'il est
certainement l’une des raisons pour lesquelles j’ai vécu ce que j’ai vécu en te
côtoyant. Je n’ai pas pu aller au bout, je n'en n’ai pas eu la force et ni le
courage. Mais il est là, en moi. Je le porte désormais, telle une organique
machine qui s’est logée dans mon ventre, là où l’animal gît, dans sa
constitution primaire aujourd'hui fécondée.
Notre histoire est celle des bâtisseurs de rêves et
des architectes, ceux qui matérialisent une seconde réalité, une réalité cachée
dans l’esprit et dans le ventre, et qui ne demande qu’à jaillir de nous. Le temps
viendra où d’autres réponses seront données. Mais ce temps n’est pas encore
venu.
Aujourd'hui, là où maintenant je réside, en la maison de mon père et depuis sa terrasse, cerné par ses plantes, ses fleurs, son second souffle, j’ai les yeux ouverts et je regarde de toutes mes forces partout autour de moi. Je suis enrichi d’un immense cadeau, celui d’une certitude originelle enfin recouvrée, après cinq longues années : je vibre et je ressens ce pays dans un idiome incontournable et unique, celui qui concentre en lui ce pourquoi je suis fait.
Fin du premier voyage.