mardi 16 avril 2013

Hydrophonic Garden


LSDD – Part. 1, chap. 6 – Extrait



Il fut ainsi le premier individu à m’entendre énumérer les raisons qui me poussaient à vouloir changer de travail. Je ne parlai évidemment pas de mon frère, mais plutôt de mon envie de m’investir pleinement dans un secteur qui semblait correspondre à mes aspirations professionnelles. Je fus loin d’être bon. La classe du bâtiment dans lequel il m’accueillit m’impressionna. Le luxe de son bureau et l’aisance avec laquelle il évoluait dans cet espace, espace qu’il s’appropriait totalement, me figèrent un peu sur place, en certaines phrases males dites et dans le trop peu de questions que finalement je lui posai. Mais il semblait apprécier, malgré ces errances, le culot de ma démarche. Aussi, il me donna une leçon de comment faire, avec une courtoisie qui approchait parfois la bienveillance. 

- Voyez-vous, me dit-il en ouverture, j’aurais aimé entendre… 

Je n’avais plus qu’à ouvrir grand les oreilles et profiter de son enseignement. D’ailleurs, il fut trop parfait, trop capable de sortir exactement les mots qu’il aurait lui-même voulus entendre. Question d’objectif, ou de parti pris : il n’avait pas encore besoin de moi. Je partis un peu déçu mais en le remerciant sincèrement pour le temps qu’il avait bien voulu m’accorder. De plus, il m’avait manifestement appris quelque chose : l’étrangeté du juste discours dit au moment adéquat, de la manière voulue par celui d’en face. Celui qui peut-être, un jour, entrouvrirait une porte pour vous. Appréciable, non ?

De retour en centre ville, je fis une halte chez Mike, qui en était tout juste au petit-déjeuner. Il était un peu plus de onze heures et il se la coulait douce, oisif le bougre qui ne travaillait pas. Il m’offrit un café et tandis que nous partagions cet instant de chaleur, il me montra ses pieds d’herbe en train de prospérer sous la généreuse lumière d’une lampe à sodium qui délivrait pas moins de 450 watts et dont les temps d’éclairage étaient réglés à la minute près. Mike avait acheté un système hydroponique complet. Les pieds, plantés hors sol dans des billes d’argile spéciales, grandissaient sans entrave. L’impressionnant attirail comprenait aussi un circuit actif d’eau minéralisée, un contrôleur de pH, un extracteur d’O2, enfin de quoi obtenir une abondante récolte de têtes gavées de THC en trois mois à peine, à des niveaux de concentrations tels que la nature ne savait que rarement produire. Une totale maîtrise, dévoilant l’idée certaine d’un monde parfait.

Mike et moi-même nous aimions déjà beaucoup, bien que nous connaissant depuis moins d’un an. Nous ne ressentions pas le besoin de nous dire que nos deux vies ne connaissaient pas l’épanouissement des ses plantes, puisque nous le savions tous deux. Entre nous, l’accord signé était tacite. Nous nous comprenions naturellement, sans avoir à forcer la dose ou les mots, mais peut-être nos connivences de fumeurs nous aidaient-elles un peu. Cet homme qui devenait mon ami, au fil de nombreuses et seules soirées que nous avions partagées au début de notre aventure et qui laissaient progressivement la place à des moments plus intimistes comme celui-ci, était déjà orphelin, alors qu’il n’avait pas encore 29 ans. Il ne m’en parlait pas d’ailleurs. Il était encore trop tôt pour qu’il parvienne à me communiquer un peu de cette blessure. Mais ce qu’il me donnait déjà était amplement suffisant, car dans la réciprocité nous trouvions le juste équilibre.

- Salut man, fit-il sur le pas de sa porte, on se voit ce soir de toute façon ?

- Yes, je t’appelle quand je sors du taf, merci pour le café.  Et dans un dernier sourire un peu moqueur, je lui lâchai : et te tues pas à la tâche…

Je le quittai alors, pour reprendre une voiture que j’eus de nouveau beaucoup de peine à garer dans les environs de mon chez–moi, tant les places disponibles se faisaient rares à pareille heure de la journée. Il était midi à peine passé. Enfin dans les rues, libre de toute contrainte et tel un flâneur, je m’abandonnai à marcher doucement, profitant de l’aménité de l’air et de l’heure que j’avais encore devant moi.

Le temps resplendissait de lumière et de soleil. Les toulousaines commençaient tout juste à se vêtir plus légèrement, laissant deviner les courbes fines et généreuses de délices charnels improbables, dans le bien-fondé d’une pensée érotique qui, m’effleurant, s’amusant de moi, contenait à elle seule la volupté du jour, sa tangible fragilité et la saveur tenace de son éparpillement.



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