Retours en Guyane - Les Fragments Incompressibles.
Extrait, septembre 2003.
...
Au lendemain de mon arrivée, alors qu’il n’était pas
encore midi, Xavier m’emmena chez mon père en voiture, dans sa petite twingo
vert pomme. C’était un de ces jours où tout semblait à sa place : le
soleil était lumineux à faire mal aux yeux, la chaleur était lourde mais
tolérable et l’air était celui que j’avais connu autrefois, inchangé, toujours
imprégné de l’amour que je portais à cette terre et de l’exotisme voilé qu’il
était simple de ressentir ; il
suffisait effectivement de se dire en silence : Tu es en Guyane man…
La voiture stoppa sur le trottoir, juste devant le
portail électrique en bois vernis de la maison de mon père. Je sentis alors
naître en moi une espèce de vulnérabilité physique, un témoignage de l’émotion
qui pointait indéniablement le bout de son nez. J’attendis que Xavier redémarre
et s’éloigne pour sonner à l’interphone. La voix fit :
« Oui ? » et je m’identifiai alors. Le portail s’ouvrit après
quelques secondes et tandis que les entrailles de la demeure se découvraient
lentement, j’aperçus la silhouette de mon père à l’orée de la terrasse
couverte, la silhouette de ce grand bonhomme qui me souriait déjà, avec son
ventre toujours aussi imposant, là où il concentrait en fait la totalité de son
embonpoint, ses cheveux blancs longs raisonnablement tirés en arrière, et ses
joues un peu plus creusées que lors de notre dernière rencontre.
Le bonhomme avait vieilli mais il était encore
lui-même, de fière allure. Il était celui qui était resté lorsque j’étais
parti, treize ans auparavant. Il était cet homme, peut-être critiquable en bien
des points, que je ne m’amusais plus à critiquer depuis des lustres, depuis le
jour où j’avais enfin compris qu’en dépit de ses choix, dont certains avaient
provoqué le morcellement de ma famille, il avait toujours fait de son mieux
pour nous. Nous n’avions jamais manqué de rien, puisqu’il n’y avait que lui qui
nous avait manqué.
Je m’approchai de lui, lui qui fit également
quelques pas en ma direction, tandis que je pris le soin de retirer mes
lunettes de soleil.
- Alors mon fils, me dit-il, tu es bien arrivé ?
Tu as pu te reposer ?
Nous nous fîmes deux bises et puis je reculai d’un
pas pour profiter de lui et le regarder dans les yeux. Comme les miens, les
siens étaient émus et heureux. Il posa les mains sur mes épaules et je fis de
même. Nous redonnions corps à notre filiation, avec la pudeur qui le
caractérisait depuis toujours, avec la tendresse aussi que nous éprouvions l’un
pour l’autre.
- Tu as l’air bien, mon fils, me dit-il encore.
- Tu as l’air très bien aussi, papa, lui répondis-je, tandis que je tus les quatre
années enfuies, les rides plus profondes et la fragilité que l’on cernait plus
aisément. Mon père Jacques avait 78 ans passés. Il était le père de neuf
enfants, dont le dernier venait de naître, au mois de juin. La petite Dahlia
était le deuxième enfant métisse d’une nouvelle famille, qu’il avait commencée
à fonder une dizaine d’années auparavant, lorsque Benjamin était venu au monde.
Je pris un plaisir immense à passer des heures avec eux, cette première fois
puis les suivantes.
Après cinq jours assez calmes, arriva le premier
week-end de mon séjour kouroucien. Durant cette semaine de retrouvailles avec
mon vieux chez moi, ma ville et son rythme équatorial, lent, avec mes plus
anciens amis et l’idée sous-jacente que je ne puisse un jour les perdre,
simplement parce qu’ils étaient là depuis toujours ou presque, j’avais surtout
profité de mon père et de sa famille, mon vieux père qu’enfin je revoyais,
après 4 années écoulées sans avoir une seule fois eu le bonheur de le côtoyer.
Xavier avait convenu avec l’un des plus vieux
kourouciens que je connaissais, Chonchon de son surnom, que je m’occupe
d’animer la soirée du vendredi au bar dont il était le propriétaire. C’était le
seul bar récent de la ville. Il donnait ainsi une occasion tangible aux locaux
de changer un peu de leurs habitudes de sorties, ici peut-être un peu trop
rarement variées. Est-ce à dire que tout le monde se retrouvait là-bas une fois
le week-end venu ?
Au soir de mon arrivée, nous étions donc allés,
Xavier et moi, boire un verre là-bas, histoire de tâter un peu le terrain.
Chonchon était un homme petit et trapu, brun, dont le visage buriné par le
soleil était honoré d’une épaisse moustache. Son regard dégageait une malice et
une bienveillance toute commerciale, qui n’invitait pas forcément à se laisser
aller aux confidences. Mais il se paraît d’une amabilité véritable et de chaque
instant, qui le rendait sympathique à cet égard. Et puis il allait me donner la
chance de mon premier mix en public. Le problème était aussi qu’il allait
s’agir de mon premier mix, pas moins que cela !
Une fois rentré chez Xavier et sans m’en rendre
vraiment compte, je pris mon carnet et un stylo, presque immédiatement après
avoir refermé la porte de la chambre derrière moi. Je me mis à écrire, voulant trop
vite faire couler les mots, tels les
fleuves amazoniens que j’allais retrouver dans quelques jours. Mais cela
faisait des mois, presque un an, que je n’avais pas posé le moindre écrit sur
le papier. Nous étions le 13 septembre, le ventilateur de la chambre remuait lancinement
un air qui ressemblait à s’y m’éprendre à l’enfance et je ne sus finalement retranscrire
que les sillons d’un seul et même dogme :
Guyane…
Tu es le premier mot d’un récit dont je ne sais rien mais qui semblerait
presque, dans la gageure écarlate de nos retrouvailles, m’avoir tout appris. Et
si bien sûr ce n’est pas la vérité, tu sais aussi bien que moi qu’en toi réside
une part de moi qui ne s’exprime qu’en toi, dans une exclusivité qui me coupe
le souffle. Un souffle incalculable que je ne connais qu’ici, et que la vie
métropolitaine ne saura vraisemblablement jamais détruire. Il n’est pas de
tragédie à t’avoir quittée. Puisque je te retrouve enfin...
1 commentaire:
parlerai tu de Xavier DU... et Stéphane RE... ? sais tu que Stéphane a été de longues années mon cousin par alliance, hasard de la vie qui fait qu'il a épousé ma cousine Sandrine et que leurs enfants sont mes petits cousins cousines...
Je revois très bien ton papa... je revois tout d'ailleurs, et une fois de plus des flots d'émotion qui submergent ... cette Guyane qui coule, dans mes veines à jamais...avec la Grèce mon pays maternel..
Quel âge as tu donc olivier
Ta sœur Laurence vient d'être "en amie" FB avec ma grande Virginie ...que de souvenirs remontent :-)
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