LSDD – Part. 1, chap. 5 – Extrait
…
Un an plus tard environ, au début du mois d’avril,
alors que mon frère était effectivement devenu le père d’un magnifique petit
garçon, que j’avais moi-même goutté par deux fois aux joies des trance party,
il me téléphona aux proches abords de minuit, alors que je profitais ce soir là
de mon célibat géographique, tapotant sur le clavier d’un ordinateur portable
ancestral peu fiable, dont j’avais hérité quelques mois plus tôt. Il me dit très
simplement :
- Bon, Olivier… Je vois le neurologue
demain matin. J’ai des nouveaux symptômes depuis quelques temps et je
pense que là, il sera capable de me dire de quoi il s’agit.
Je n’assimilai que très partiellement toute
l’ampleur de ce que cela signifiait vraiment. Je lui reprochai de m’avoir caché
la réapparition de ses troubles, le questionnai sur la nature des ces derniers,
toujours semblables à ces dérangements sensitifs qu’il avait connus un an
auparavant, auxquels était venue s’ajouter une étrange baisse de son acuité
visuelle. Sans que je ne lui dise, je le trouvai très courageux, puisque la
chose était revenue, le tourmentant depuis des semaines sans qu’il n’eut rien
dit, rien avoué, rien laissé transparaître de ses inquiétudes à aucun des membres
de sa famille. Je raccrochai après un quart d’heure, ayant essayé tant bien que
mal de le rassurer, lui disant avec insistance que tout irait bien, que cela ne
pouvait pas être bien grave, de toute façon. Je tentais en vérité de me
convaincre autant que lui, tandis qu’au fond de moi s’était installé un truc
méchant, une angoisse sourde et lourde au ventre, irradiant mes fibres tel un
signal d’alarme tangiblement prémonitoire. Le lendemain, il téléphona sur mon
portable vers 11h30, alors que j’avais laissé l’engin loin de moi, doucement
affairé à mon travail, aidant un jeune diplômé à naviguer sur internet et les
sites dédiés à la recherche d’emploi. Je n’eus son message que vers midi ;
sa voix me parut bizarrement tronquée, presque métallique. Il disait :
- Oui Olivier, c’est moi… Bon, écoutes, les
nouvelles ne sont pas très bonnes, alors rappelles-moi dès que tu peux.
Ce que je fis dans la minute, m’isolant dans le
bureau situé tout au fond de mon service, les entrailles mêmes de celui-ci, là
où se trouvaient les postes informatiques sur lesquels je travaillais
régulièrement. Une simple minute de plus, celle-là même qu’il faut parfois à la
vie pour nous faire basculer dans tout autre chose, là où l’on sait à coup sûr
et de manière irrémédiable qu’il existait un avant et qu’à jamais il y aura un
après. Il me l’annonça aussi très vite, aussi vite qu’il le put, telle une dissonance
monumentale :
- Mec, j’ai la sclérose en plaques…
Alors sa détresse, incommensurable, se matérialisa
pour se condenser en un seul cri éperdu, un cri qui ne dura qu’une seconde et
que je ne n’oublierai jamais, un cri qui déchira entièrement toute la substance
de mon cœur de frère, qui déclencha fussent passées seulement trois secondes
les pleurs inlassables d’un monde qui se dérobait parfaitement sous mes pieds.
Mes nerfs lâchèrent si totalement que ce fut lui qui dû me consoler durant les
vingt minutes qui suivirent. Je pleurai sans fin, me tordant en deux tellement
le ventre me brûlait, hurlai une indicible rage impossible à expier. De ma vie,
jamais je n’avais ressenti un si profond chagrin, il me semblait devoir faire
face à un impossible désastre, quelque chose de tout simplement inconcevable.
Le directeur adjoint pénétra à ce moment là dans la pièce et je le jetai
brutalement, sans contestation possible :
- Pas maintenant Georges !
Il n’insista pas et referma doucement la porte.
Cette intrusion eut néanmoins le bénéfique effet de m’obliger à me ressaisir, à
reprendre le contrôle de mes nerfs. Je raccrochai après cinq minutes où je
parvenais à discuter un peu plus calmement avec mon frère. Et puis j’attendis
cinq autres minutes encore, afin de retrouver le courage suffisant pour
m’extraire de cette pièce devenue cachot et d’aller trouver ce fameux Georges
resté à proximité, veillant en effet sur un Espace Jeunes Diplômés demeuré sans
surveillance, mais non sans l’inopportune compagnie de la directrice elle-même,
à qui je bafouillai très vite une lamentable phrase d’excuses, la voix brisée
des trop nombreux sanglots et leur tournant le dos alors, je m’enfuis sans
m’inquiéter de leur réaction.
Je fus dans la rue au bout de dix secondes et je
fus aussitôt saisi par une sensation étrange et brutale, tant le spectacle
offert ne me paraissait plus qu’être celui d’un vieux film gris à la pellicule
poussiéreuse et dont il me serait impossible un jour de refaire partie. Je ne
pus que très partiellement maîtriser mes larmes, ne le voulant d’ailleurs pas
vraiment. La tragédie était si complètement réelle que je ne pouvais plus me
soucier d’aucune pudeur ou d’un quelconque faux-semblant. C’était tout
simplement au dessus de mes forces. Rentrant chez moi, je croisai certains
regards dont l’étonnement ne sut que me renvoyer ma propre détresse. Je marchai
aussi vite que je le pus et quand cela fut fait, j’accélérai encore et puis
encore, jusqu’à me faire mal aux jambes.
Une fois chez moi, de nouveau en ligne avec mon
frère, tous deux légèrement apaisés, nous essayâmes ensemble d’intégrer
l’effroyable nouvelle. Sa femme était à ses côtés et je l’entendais pleurer.
Leur fils n’avait pas un an, leur mariage pas deux années, mon frère n’avait
que vingt huit printemps au compteur. Et il leur fallait maintenant assimiler
en urgence ce qu’une sclérose en plaques, une SEP, pouvait impliquer dans la vie
d’un homme et de ses proches. Les coups me semblaient nous être portés à
cadence métronomique, sans que cela ne puisse un jour cesser. Que fallait-il
comprendre de plus ?
Peut-être que malgré l’amour, le sang et les grands
rêves, rien ici n’existait d’immortel. Ce jour là, pour la première véritable
fois de ma vie, en la sensation d’une vorace et si profonde morsure
carnassière, j’assimilai peut-être à tout jamais que rien de ce qui m’était le
plus cher, le plus indispensable, mon frère, celui qui était mon ami de
toujours, celui avec qui j’avais tout vécu et absolument tout partagé, n’offrait
l’assurance de ne pas m’être un jour ôté. Ne connaissant pas vraiment la
maladie, je ne cessai de me répéter en pleurant, une fois que Mathilde m’eut
rejoint dans la fin de l’après-midi, que mon frère allait disparaître et
j’hurlai à la gueule de ce monde
hostile :
- Putain, c’est pas vrai mais c’est pas vrai, il va
mourir ! Il va mourir, non de Dieu ! Mon frère va mourir…
Il me fallut cette fois-ci une heure entière pour
me calmer et me détacher un tant soit
peu de ce langage de mort, ce si étrange langage, finalement un assortiment de
mots qui ne savait pas dire le ressenti réel, celui de concrétiser en sa propre
chair l’idée même de la disparition, cristallisant dans un recoin de l’âme
désormais inatteignable ce fichu malheur qui venait de s’abattre sur nous.
…
4 commentaires:
La putain de claque !
Très beau, les larmes ont coulé...
Je t'aime bro
Par de là la souffrance infligée par "cette saleté" et tous les maux profonds de l' âme, une seule chose transparaît à l'essentiel et en vérité dans ce texte si touchant et émouvant, c'est l'AMOUR GRANDISSIME que vous vous portez ! Vous êtes frères de sang en Humanité et pour l'Eternité car
" L'Amour peut tout, L'Amour supporte tout, l'Amour ne meurt jamais ! " (corinthiens 13.4.7)
Merci beaucoup Nathalie pour ton commentaire... Et oui, l'amour peut tout...
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